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Christine VAN ROGGER-ANDREUCCI, « Max Jacob, pénitent en maillot rose » dans Jean Touzot (éd.), Huit poètes dans le siècle, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, pp. 59-80.
L’article de Christine Van Rogger-Andreucci intitulé « Max Jacob, pénitent en maillot rose » est un joyau de lucidité et d’empathie. Cette vingtaine de pages récapitulent les grands thèmes de l’œuvre jacobienne avec une sûreté de trait et une intelligence qu’aucune fausse note n’enlaidit. Comme s’il portait l’aura d’une écriture testamentaire, les dernières lignes droites d’une « acrobate absolue » de la science poétique et de l’âme humaine trop tôt disparue.
Cet article suit presque le parcours chronologique de la vie de Max Jacob, mais il l’épouse avec la souplesse qui convient à la description d’une existence et d’une œuvre tout en surprises, reprises, approfondissements et méandres.
Il insiste d’entrée de jeu sur la dualité du poète et sur son esthétique de l’instabilité qui reflète les luttes d’une double appartenance, l’une à l’avant-garde surréaliste et cubiste, l’autre à la renaissance catholique promue par Jacques Maritain. Sur ce point, l’article mentionne une lettre au Prince Ghika où l’écrivain avoue ne « jamais avoir été assis nulle part que sur des coins de chaise…Un coin de chaise et c’est tout mon portrait(1). »
Cette insécurité fondamentale, celle de la condition humaine, se perçoit dès les premières publications de Max Jacob, Œuvres burlesques et mystiques du Frère Matorel et La Côte. Le recours à un auteur fictif, double du poète, dans le premier ouvrage et la caricature de l’érudition nationaliste du folklore breton dans le second disent d’entrée de jeu une mise à distance du monde et du langage. L’humour du poète permet d’éviter à l’écriture de s’installer dans un ordre de significations commode où chacun pourrait reposer sa tête et ses mots d’ordre avec une avarice qui impose le respect.
Au contraire, l’expressivité jacobienne sait réveiller le cœur et l’oreille du lecteur là même où « le sens se noie ». Là où les représentations collectives du monde tombent en capilotade, « l’affinité sonore » de chaque mot, de chaque syllabe, de chaque parole, « obsède » (p. 61). Rien moins qu’une fugue de l’Esprit dans un temps d’enfance où la musique et le rêve s’entendent à déjouer les mots d’ordre de la guerre et de l’esprit de sérieux.
La guerre est d’ailleurs l’un des thèmes du poème que Christine Van Rogger-Andreucci analyse avec une grande attention pour y voir le redoublement d’une déception presque systématique du « faire sens ». Mais n’y a-t-il pas aussi dans ce poème mille réseaux sémantiques qui puisent leur légitimité dans un retournement complet du langage ? Ne faudrait-il pas faire passer comme à travers un miroir la poésie jacobienne pour en retourner les apories incompréhensibles de premier abord ? Ce miroir, est-ce autre chose chez Jacob que l’horreur de toute idolâtrie et des effets de sens qu’elle imprime de façon imperceptible au langage ? Ce n’est là qu’une question à l’égard d’un article d’une excellente qualité d’interprétation.
Sans doute y a-t-il une part de violence dans la dérision jacobienne, une part de refus des grandes architectures littéraires ; mais, comme le souligne Max Jacob, l’ironie et le goût de la parodie s’exercent d’abord à l’encontre de l’œuvre et de son propre auteur : à travers un « jeu de miroirs infini où toute écriture se retourne », le poème travaille à sa propre déconstruction. La première idole à abattre, c’est l’auteur lui-même qui s’entend si mal avec la foule des « moi » qui l’habitent. Un auteur qui ne cesse de se dévaluer et de se présenter au silence de la page blanche sous le jour le moins flatteur.
Cette déconstruction s’applique aussi à l’unité de genre propre au champ littéraire où le poème en prose bouleverse la monotonie de la versification. Enfin, ce « Max Jacob, pénitent en maillot rose » s’achève en soulignant les déplacements intérieurs et formels du poète et de son œuvre. À l’obsession douloureuse d’une identité insaisissable, le poète substitue le consentement à ne plus trop s’inquiéter de lui-même. Dans les Conseils à un jeune poète, l’esthétique et la morale jacobienne exaltent le travail, la volonté et « une rature sur soi à l’infini » (p. 80) par où faire surgir de soi une émotion des profondeurs, une émotion sans narcissisme.
Cet appel ultime à la « sainteté poétique » (p. 80) s’est formulé avec clarté dans les dernières années de la vie du poète, mais n’est-il pas déjà à l’œuvre sur le mode de l’angoisse dans toute l’œuvre de Max Jacob ? Gilles, Pierrot et saltimbanque, clown christique par excellence devenu l’autel, l’officiant et le martyr tout ensemble, Max Jacob a su faire entendre comme par effraction dans la culture de son temps la paix inadmissible du chant qui le hantait : un sourire, des pirouettes et une voix, comme un silence perdu d’avance dans le gémissement des bruits, des soucis et des villes.
NOTES
1 Lettre au Prince Ghika, Les Propos et les Jours, Correspondance de Max Jacob 1904-1944, rééditée par Annie Marcoux et Didier Gompel-Netter, Zodiaque, 1989, p. 162.
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