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Philippe SCHMITT-KUMMERLEE, Max Jacob au Grand Quartier Général Nollet. Un nouveau Bateau Lavoir, Neuilly-sur-Seine, Éditions Al Manar, 2007.
C’est à un espace circonscrit et à une période précise de la vie de Max Jacob que cet essai de Philippe Schmitt-Kummerlee se consacre : l’hôtel Nollet, « hôtel interlope, à la réputation discutable » situé dans le quartier des Batignolles, accueille le poète à une époque délicate de sa vie, de 1928 à 1934, années où les difficultés financières s’accumulent au point que Jacob doit finalement quitter les lieux, être recueilli, un temps, par Pierre Colle (futur exécuteur testamentaire de l’œuvre), avant de laisser Paris derrière lui pour un repli définitif à Saint-Benoît-sur-Loire. Cet hôtel, que Max Jacob aurait d’abord considéré comme un lieu de résidence provisoire, Philippe Schmitt-Kummerlee vise à en restituer toute l’importance : s’ouvrant sur une présentation de la rue Nollet aujourd’hui, l’ouvrage décrit ensuite avec une précision sensible le décor humble de la chambre, pour mieux marquer enfin l’entrée en scène de ses personnages.
Car ce décor modeste devient paradoxalement un lieu d’effervescence artistique et littéraire en ce début des années 30, un « nouveau Bateau-Lavoir » selon l’expression affectueuse de Jacques Bonjean reprise en sous-titre à l’ouvrage , qui le disputerait en importance au célèbre atelier de Montmartre. Et de fait, on croise dans cet ouvrage un ensemble foisonnant et très hétéroclite d’artistes, de poètes et d’écrivains (Follain, Artaud, Schéhadé, Andreu), et une multitude de figures hautes en couleur issues de tous les milieux, où se côtoient en toute fantaisie délicates marquises et représentants de la bohème littéraire. Les musiciens y dominent, témoignant en cela d’une nette évolution de Max Jacob, distant désormais de Picasso : le compositeur Henri Sauguet, les membres du groupe des Six, mais aussi Charles Trenet se croisent à la « cour du prince de la rue Nollet », « Offenbach et les chansons de sa jeunesse, le moderne et le classique » se mêlent en toute liberté. La démonstration pourrait être convaincante ; pour autant, on est en mesure de se demander si une telle effervescence suffit à faire de ce lieu un « nouveau Bateau-Lavoir » : en quoi les jeunes gens qui s’y réunissaient avaient-ils conscience d’inventer quelque chose de l’art moderne ? À quelle avant-garde cela renvoie-t-il ?
L’ouvrage suit le déroulement de ces six années saison après saison, ce qui n’est pas, paradoxalement, sans introduire une forme de décousu dans l’enchaînement des faits écho à la vie kaléidoscopique de Max Jacob ? De manière analogue, les effets de listes qui dominent certains passages ne seraient sans doute pas pour déplaire au poète lui-même, qui affectionnait ce procédé. Si l’on regrette l’absence de citations des grands textes sur la période pourquoi le témoignage fondamental Quand j’écrivais une opérette avec Max Jacob d’Henri Sauguet n’apparaît-il pas ? , on notera le travail de documentation auquel se livre l’auteur, et le choix des lettres qu’il nous donne à lire. On suit ainsi, avec intérêt, la traversée des événements politiques de février 1934 à travers les pages distanciées du poète, et c’est aussitôt toutes les contradictions du personnage qui s’en trouvent mises en évidence.
L’édition de l’ouvrage fait toutefois naître des réserves : l’appareil de notes, en particulier, manque d’harmonisation et d’exactitude, de sorte que le lecteur se trouve plus souvent égaré que guidé. Les renvois bibliographiques sont parfois lacunaires. L’ouvrage aurait gagné, enfin, à être découpé en chapitres. Une édition plus rigoureuse aurait, ainsi, servi bien davantage le projet de Philippe Schmitt-Kummerlee.
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