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LA CONFLAGRATION MAX JACOB
Les premiers mots qui me viennent, pour évoquer Max Jacob, ce sont ses propres paroles : «mots en liberté », quand, dans son «Petit historique du Cornet à dés », en 1943, il écrit : «Je me suis appliqué à saisir en moi, de toutes manières, les données de l’inconscient : mots en liberté, associations hasardeuses des idées, rêves de la nuit et du jour, hallucinations, etc...». Ce qui l’avait fait remarquer par Apollinaire dès 1907.
Max Jacob, c’est Dada et le surréalisme avant Dada et le surréalisme. J’ai dû
lire Max Jacob dès mes vingt ans, en même temps que je me jetais dans les textes
de dada et du surréalisme. Max Jacob, comme Dada et le surréalisme, continue de
beaucoup compter pour moi, par sa révolte contre l’académisme, langage de la
société.
Parce que son sentiment du poème, et du rapport entre le langage et la vie, ont
fait et continuent de faire mon propre sentiment du poème, et de la vie.
Je dois dire que je n’ai lu de lui que ses poèmes, son Art poétique et ses Conseils à un jeune poète. Je n’ai pas lu son théâtre et ses romans. C’est ainsi.
Mais j’ai certainement été marqué par la phrase de sa Préface de 1916 au Cornet à dés : «Tout ce qui existe est situé ». Et je continue de me trouver et retrouver dans : «ce qui est l’homme même, c’est son langage ». Même si, plus tard, il corrigeait sur son propre exemplaire : «Cette question du ‘situé’ c’est un mot mal choisi : j’aurais dû dire ‘éloigné’ ; j’aurais dû dire : ‘porté par un océan de pensées » (Poèmes épars, La Différence, 1994, p. 107). Non, c’est «situé » qui m’est resté. C’est aussi ce que disait son Art poétique de 1922: «C’est avec cette intelligence physiologique qu’il faut écrire ». Et il a une formule forte : «le style du ventre », le meilleur par opposition au style de tête et au style de poitrine.
Sa pensée du poème, c’est elle que je rencontre, et qui est aussi en moi, quand il écrit que le poète moderne est «un épique ». C’est aussi ce que j’aime lire et relire dans les Conseils à un jeune poète de 1941, avec l’idée que «la véritable invention vient d’une conflagration de pensées ou de sentiments », et quand il dit que «c’est l’inexprimable qui compte », la «voix dans le ventre », qui reprend le «style du ventre » de 1922. C’est pour me retrouver moi-même, c’est pour le plaisir que je recopie ici ses formules : être un «Homme-Poète », un «homme perméable », et «le propre du lyrisme est l’inconscience, mais une inconscience surveillée ».
C’est ensuite seulement, et à part, que je constate une discordance entre ses écrits de réflexion et les poèmes du Cornet à dés et du Laboratoire central de 1921, dont le titre faisait allusion au Bateau-Lavoir, «laboratoire central de l’art moderne». Une discordance qu’il vivait mal, puisqu’il a pu dire : «j’ai perdu ma vie littéraire à cause de la peinture et perdu ma vie picturale à cause de la littérature ».
Mais ce qui reste intact, c’est, dans son allocution de 1934 (dans le volume des Poèmes épars) : «il n’y a pas ‘la poésie pure’, il y a la poésie tout court ».
Pour cela, je ne peux pas classer Max Jacob parmi les fantaisistes. Ce que je ressens, dans le ludique pour le ludique, le «burlesque » (comme il dit en 1934) chez lui, c’est un envers du tragique. Et j’y fais mon choix. Il y a des morceaux invieillissables. Mais aussi, surtout dans Le laboratoire central, des coulées de bondieuserie et de mystiquerie. Oui, je sais, Max Jacob est profondément un mystique. Et j’aime moins, personne n’est parfait, par exemple ses «Litanies de la Sainte Vierge » qui terminent Le Laboratoire central. Oui, son côté Jésus. Le comble étant alors atteint pour moi dans ses Conseils à un étudiant qui suivent les Conseils à un jeune poète, et qui virent au catéchisme catholique et convertisseur, et comme il dit lui-même en terminant, au «sermon»: «soyez surtout un vrai chrétien».
Cela, pour moi, c’est vieilli. Et je ne supporte pas. Mais ce qui n’a pas vieilli, c’est son humour, comme : «Surnom d’un vieux poète : Matuvusalem», dans Le Cornet à dés II et, rare apparition, vers 1933-1934, rare, non seulement chez lui mais chez tous ses contemporains, en particulier les surréalistes : «Mr. Hittler m’invita à venir à son atelier, rue Caulaincourt : ‘Mais je suis encore trop juif, mon empereur ! Bah! tu me diras ce que tu penses de ma peinture’ ».
Il y a l’époque, dont il se détachait. Dans une lettre du 1er août 1941 (que cite Marcel Béalu dans sa préface aux Conseils d’un jeune poète) il dit du surréalisme : « ce joujou d’un sou». Max Jacob, lui, sort de l’époque.
Il théorisait et prophétisait aussi, alors : «Le calembour est une conflagration». C’est sa manière d’unir le poème et le calembour.
Pour moi, Max Jacob, aujourd’hui, reste une conflagration.
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