|
Max JACOB / Jean Paulhan, Correspondance 1915-1941
édition établie et présentée par Anne Kimball,
Paris, Paris- Méditerranée (Cachet volant), 2006, 294 p.
C’est une volonté assez rare que celle exprimée par Max Jacob qui demanda à
son exécuteur testamentaire de détruire à sa mort non pas ses propres lettres, mais
celles qu’il avait reçues de ses divers correspondants. Pouvait-il imaginer un seul
instant que ses destinataires agissent de même, niant à ses missives la qualité
d’œuvre ? Cela aurait été dommage, car Max Jacob est un grand épistolier et un
remarquable témoin de son temps, que l’amateur d’histoire littéraire, mais aussi de
style et de psychologie prend toujours grand plaisir à lire... Les correspondances de
Max Jacob, qui ont jusqu’ici vu le jour grâce à ses respectueux correspondants, mais
aussi grâce à la passion des spécialistes de son œuvre, jouent un rôle fondamental,
que n’accomplissent pas les rééditions de ses textes : soustraire la personnalité
littéraire de Max Jacob à une certaine image d’amabilité et de fantaisie qui agace et
parfois lui nuit.
Que ce soit auprès de Jean Cocteau ou de Michel Leiris, la figure de magister
de Max Jacob est indéniable quoiqu’il s’en défende par des pirouettes , mais
c’est surtout son rôle de passeur, d’introducteur qui est véritablement à l’œuvre et
sa plastique intellectuelle, qui lui fait accueillir sous son aile peu conformiste pas
uniquement les jeunes gens à la figure avenante, mais aussi les écrivains qui se
cherchent, même provisoirement, à travers lui. Et l’on constate qu’en permettant à
un jeune littérateur de définir son art poétique il affine le sien et, ainsi immergé dans
la littérature en train de se faire, Max Jacob se fait sentinelle, modeste et malicieuse,
de la modernité littéraire.
Sa correspondance avec Jean Paulhan n’appartient pas vraiment à ce registre,
bien qu’elle commence sous ces mêmes auspices : c’est l’illustrateur Albert Uriet,
le meilleur ami de Jean Paulhan, son double, son frère, rencontré au début de la
Grande Guerre, qui s’enhardit, en septembre 1915, à écrire à Max Jacob, parce qu’il
représente la littérature de demain, des lendemains de la guerre. D’emblée et pour
toute la durée de leur relation, Max Jacob et Jean Paulhan sauront se lire mutuel-
lement, se critiquer avec finesse et profondeur, prêter attention aux jugements de
l’autre, converser ensemble... Malheureusement, on ne peut que deviner, d’après
les réponses de Max Jacob, la pertinence des remarques de Jean Paulhan : sur 165
lettres, 156 sont en effet de Max Jacob, et 9 de Jean Paulhan.
En 1918, c’est Jean Paulhan qui donne dans La Vieun article sur cette « œuvre
d’art unique », Le Cornet à dés(1917) de Max Jacob ; en 1941, peu de temps
avant l’interruption brutale de cette correspondance et sans autre raison, semble-t-il, que les terribles aléas de la Seconde Guerre mondiale, c’est Max Jacob qui
commente avec agilité sa lecture des Fleurs de Tarbes(1941) de Jean Paulhan:
«Tu te fais une coquille ; tu y tournes ; tu y plonges. On espère que tu en sortiras
quelque merveilleuse curiosité esthétique et l’on n’est pas déçu : c’est à la fois un
brillant crustacé que tu rapportes et un comique très raffiné. La pure volupté de ce
livre si nouveau (moi aussi je veux du nouveau!), si fécond est aussi la volupté du
rire intérieur. Je le relirai cent fois ».
Entre ces deux dates, Max Jacob a aussi présenté de nouveaux esprits à celui
qui est devenu, après la mort de Jacques Rivière, le rédacteur en chef, puis le
directeur de la N.R.F. : par exemple, Charles-Albert Cingria en 1926, Jean Grenier
en 1927, ou Edmond Jabès en 1937. Entre ces deux dates, Jean Paulhan a tout fait
pour que Max Jacob tienne sa place, empreinte d’une influence originale, dans les
sommaires de laN.R.F.
Un jour de septembre 1936, Max Jacob trouve le biais pour mettre un nom sur
la véritable raison de leur étonnante et durable amitié, malgré quelques moments de
tension vite pardonnés : «J’ai trouvé ici des caisses pleines de lettres (1920-1928), les
tiennes d’aujourd’hui sont du ton fidèle de celles d’alors Mais, là, combien de
signatures alors si amicales sont devenues depuis celles d’incompréhensibles
inimitiés (je ne nomme personne, comme dit M. le curé dans ses sermons). Si
j’étais Sénèque je pourrais écrire un petit traité philosophique sur l’inconstance des
choses humaines et le prix qu’on doit attacher à la vertu contraire. / Je me pique,
tout comme toi-même, de cette vertu-là. » Éloge de la constance, ou de la fidélité,
en amitié, vertu à laquelle l’un comme l’autre était très profondément attaché.
|