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PÉDRON François, La légende de Montmartre racontée par Max Jacob, le fou de Dieu
Ill. Jack Russel, Paris, La Belle Gabrielle, 2008, 127 pages.
Certes, « la simplicité déchirante de Max [a] boulevers[é] » François Pédron mais un livre, même conçu avec les meilleures intentions, ne peut pas se bâtir uniquement sur l’empathie d’un éditeur envers un auteur. L’intérêt d’une monographie tient en effet à plusieurs facteurs : la maîtrise du sujet par son auteur et sa capacité à en faire une synthèse claire, le choix précis d’une iconographie justifiée, l’exactitude d’un appareil documentaire et critique. F. Pédron a eu le projet de présenter Jacob « dont la vie a été un chef-d’œuvre qu’il a raté et toujours recommencé jusqu’au supplice de Drancy ». Chaque éditeur a, bien entendu, la liberté de son point de vue, le lecteur quant à lui ne demande qu’une démonstration justifiée. F. Pédron s’appuie sur des citations de correspondances et de témoignages (Salmon, F. Olivier, Liane de Pougy, d’Aubarède). À partir d’un matériel documentaire restreint, l’auteur agence des extraits comme « le(s) fragment(s) recomposé(s) du journal [de Max Jacob] tenu aussi par les autres ». Une courte introduction historique composée de formules à l’emporte-pièce donne un semblant de contexte à la trame narrative. Ces recompositions conduites par une pratique de lecture « aux ciseaux » débouchent sur un ouvrage de citations juxtaposées, d’anecdotes classées chronologiquement mais sans aucune hiérarchie, examen critique ou discussion. Une notice à la fin de l’ouvrage propose des « lectures indispensables » : seules quatre recueils de correspondance de Jacob sont cités mais aucun ouvrage du poète n’y figure. Sans doute sa bibliographie qui couvre près d’un demi-siècle d’éditions n’est-elle pas jugée nécessaire pour le découvrir ? L’iconographie proposée est constituée de reproductions de dessins ou de peintures, d’illustrations originales et de photographies. À ce propos, relevons d’abord quelques curiosités : une photo de Picasso dans son atelier de 1953 « illustre » le paragraphe de 1903. Un portrait de Jacob par Roger Toulouse de 1937 « illustre » celui de 1919. Relevons quelques légendes photographiques : « Une bande de jeunes gens… non identifiés » (p. 35) : il s’agit en réalité d’un cliché bien connu des Vaillant et de Jacob à St-Benoît ; un cliché réputé rare « d’un Max Jacob très smart qui le représente devant l’automobile qui le promène sans doute dans la région d’Orléans » : il s’agit en réalité d’un cliché, lui aussi bien connu, de 1933 (et non de 1939) pris dans les rues d’Angers (p. 69) ; des confusions : une photo de Cocteau jeune prétend être celle de Radiguet (p. 51). Relevons aussi parmi les éléments biographiques que F. Pédron voudrait fixer des éléments, selon lui, totalement erronés : il existerait, en effet, des biographes négligents qui auraient répandu « une légende » selon laquelle le poète aurait habité le presbytère de St-Benoît (p. 77) : devrons-nous corriger toutes les lettres de Max Jacob qui décrivent très précisément ce « séjour célestial » et les cocasseries de la vie en commun avec le curé ? F. Pédron avance aussi la coexistence simultanée (évidemment fausse) d’une « garçonnière » rue Nollet et de sa résidence à St- Benoît. Un seul regard sur les dates de séjour à Saint-Benoît et à Nollet suffit à corriger ces erreurs de localisation. N’ajoutons pas enfin à tous les métiers que Jacob exerça (dont la liste est déjà bien longue) celui que l’auteur veut lui attribuer : l’emploi de directeur du théâtre de marionnettes de Montmartre est évidemment une erreur (p. 45) ainsi que son désir d’être un enfant de chœur et partant le modèle du tableau éponyme peint par Soutine lors d’un séjour à Quimper (p. 94). Faudra t-il aussi corriger l’« épistolat » de Jacob à Guilloux ? Les deux poètes ne se sont évidemment pas rencontrés en 1936 comme F. Pédron l’écrit mais en 1926 (p. 108). Les légendes des illustrations laissent perplexe : « Lors de l’enterrement d’Éva Gouel (…) Max Jacob arrive en retard, complètement bourré » (p. 58), interrogent le lecteur : « Je n’ai pas pu me résoudre à dessiner la motte de saindoux que j’abhorre » (p. 62), ou le conduisent vers des anecdotes de trou de serrure : « illustration du voyeur » (p. 107). L’idée d’un ouvrage consacré à Max Jacob et Montmartre était excellente. Mais qu’en est-il de la légende de ce lieu mythique vue par Max Jacob ? Qu’est-ce d’ailleurs qu’un Montmartrois ? Jacob l’a t-il été ? Max Jacob était-il « fou de Dieu » ? On craint que la formule ne soit qu’un effet de style plus proche du hobby que de la compréhension de ce que pour quoi Jacob aurait, à Drancy, dit « avoir consacré toute sa vie ». Pourtant, voici des questions qui auraient pu trouver réponse dans la lecture des méditations, des poèmes et des récits de Jacob qui a tant chanté la rue Ravignan, la rue Caulaincourt, la rue Ordener, le « Lapin à Gilles », les rapins des faubourgs, le cirque Médrano et le Bateau-Lavoir. Max Jacob fournissait toutes les réponses mais, F. Pédron n’a pas eu l’idée de consulter une notice de dictionnaire qui lui aurait donné toutes les références nécessaires ainsi qu’une ample bibliographie d’ouvrages critiques qui lui ont été consacrés de son vivant et depuis près de soixante-dix ans. Le format de poche, la qualité du papier, la maniabilité de l’ensemble auraient pu faire de cet ouvrage le guide parfait du promeneur littéraire de la Butte. Nul doute que Jacob est l’un des personnages centraux des avant-gardes montmartroises qu’un large public aurait eu plaisir à suivre si l’exigence éditoriale et critique avait été au rendez-vous. L’œuvre de Max Jacob ne demande rien d’autre que d’être lue et d’être rencontrée. Le chemin qu’emprunte F. Pédron n’y mènera pas.
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