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Max Jacob, Lettres à un jeune homme (1941-1944), Paris, Bartillat, 2009.
Ce sont 51 lettres de Max Jacob en grande partie inédites que Patricia Sustrac, pour les éditons Bartillat, nous donne à découvrir : correspondance d’une grande densité qui dessine la silhouette d’un Max Jacob moins connu, celui des toutes dernières années, sur lesquelles pèse la menace permanente de l’arrestation. En cette période, le poète, retiré depuis 1936 à Saint-Benoît-sur-Loire, nourrit une correspondance très abondante, écrivant ainsi régulièrement une dizaine de lettres quotidiennes. Parmi elles, on connaît les lettres au peintre Roger Toulouse et au poète Marcel Béalu, où dominent les préoccupations d’ordre esthétique. Les Lettres à un jeune homme nous présentent quant à elles un autre visage de Max Jacob, celui de l’homme de foi, fervent, à la conscience torturée, tout entier dévoué au jeune homme inconnu qui se tourne vers lui. Ces 51 lettres sont en effet adressées à un étudiant en céramique, Jean-Jacques Mezure, qui choisit le 24 mai 1941 d’écrire au poète et de lui exposer « toutes [ses] préoccupations, avec une absolue confiance et une profonde sincérité ». S’engage alors entre le jeune homme de 20 ans et le poète vieillissant une correspondance abondante, les lettres se succédant d’abord au rythme de deux par semaine, puis s’espaçant quelque peu à mesure que l’on s’enfonce dans les années les plus noires de la guerre, avant d’être brutalement interrompues en mars 1944. Le sort de cette correspondance dit du reste à lui seul le climat de son écriture. Les lettres ont échappé en effet de peu à la destruction, 51 d’entre elles seulement ont ainsi été sauvées d’un bombardement en avril 1944 ; les lettres de Jean-Jacques Mezure ont de leur côté été détruites par Max Jacob lui-même, qui prenait soin de ne garder aucune trace qui puisse éventuellement mettre en danger son entourage. Jean-Jacques Mezure, dont la vie sera ensuite marquée à jamais par la figure du poète, a alors fait le choix de ne pas publier cette correspondance dans l’après-guerre. Il l’a ensuite léguée à la Médiathèque d’Orléans en 2000 et témoigne aujourd’hui, dans une préface très émouvante, de l’influence qu’a exercée sur lui Max Jacob, ce « diamant taillé qui étincelle ».
Si cette correspondance a été menée dans un contexte historique d’une extrême tension, elle étonne toutefois par son caractère radicalement intempestif. Jean-Jacques Mezure, jeune croyant pratiquant, cherche auprès de Max Jacob des repères et des réponses, lui qui est prêt à choisir la vocation religieuse. Directeur de conscience, Max Jacob l’est assurément, et refuse de l’être dans le même temps : dès la première lettre, il se présente comme un « pécheur », comme un homme dont la foi s’alimente de remords permanents. Offrant alors 20 « méditations », qui restent à publier, il tente de conseiller au plus près de ses convictions le jeune homme. A cette dimension religieuse teintant fortement les lettres, s’ajoutent, égrainées au fil des mois, de multiples remarques esthétiques, qui reprennent, complètent, enrichissent les positions passées de l’auteur du Cornet à dés : le rôle primordial de l’imagination (« Imaginez, inventez ! »), la définition toute spécifique d’un lyrisme de la « conflagration », à distance volontaire du sujet, ou encore la méfiance à l’égard du formalisme (le « macaroni alexandrin »)... Et pourtant, Max Jacob considère désormais avec méfiance et défiance le monde des « livres », « qui sont une tromperie et une déformation », et « l’esprit roman » dont il détourne son lecteur. Si la nostalgie des années Apollinaire, Salmon, Picasso est sensible, elle est comme étouffée par les élans d’une foi, intense jusqu’à l’aveuglement. De là l’ambivalence permanente de ces lettres : certes, il faut « lire pour s’agrandir », mais le livre unique demeure, pour le dernier Max Jacob, celui des Evangiles. Dimension religieuse, enjeu littéraire, cette correspondance retrace enfin les difficultés de la vie quotidienne à Saint-Benoît dans ces rudes années de guerre, Saint-Benoît où Jean-Jacques Mezure avait souhaité se rendre pour rencontrer Max Jacob ce qu’il ne put jamais réaliser.
C’est ainsi une correspondance qui mêle l’intensité et la profondeur de ses réflexions, la tendresse et l’affection à l’égard du jeune homme, la virulence de certains « coups de sang », et l’humour permanent tout cela sous le sceau du tragique. Et c’est bien sûr lorsque Max Jacob dans une même expression condense ces multiples tonalités qu’il élève ces lettres à la hauteur de l’œuvre d’art : « La prière est un télégramme réponse payée, elle a plus de force qu’un obus ».
On remercie Patricia Sustrac pour l’édition très claire et fort élégante du texte. Introduit par Jean- Jacques Mezure, cet ensemble de lettres n’est pas alourdi par un appareil de notes imposant. Seules quelques remarques historiques mettent en perspective un texte qui « par sa beauté et son intensité se suffit à lui-même ».
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