CMJ n°9 - INTRODUCTION

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INTRODUCTION

MAX JACOB ENTRE AUTONOMIE DE L’ART
ET CONVICTIONS PERSONNELLES

Antonio RODRIGUEZ*

Ce volume des Cahiers Max Jacob est dédié à la
mémoire d’Henri Meschonnic, membre du comité
d’honneur, poète et critique sans cesse interpellé
par les considérations esthétiques de Max Jacob.

 

Cela aurait pu mener aux polémiques et aux confrontations idéologiques, mais c’est au contraire dans une atmosphère sereine que les résultats des recherches, les éclaircissements, les nuances et les discussions ont eu lieu. Une journée d’étude sur les liens de Max Jacob à l’histoire a ainsi été réalisée à l’université d’Orléans le 6 février 2009, dont voici les actes. Sans doute est-ce le signe, soixante-cinq ans après la mort de l’auteur, qu’il est désormais possible de traiter en profondeur d’épineuses questions, qui lient esthétique, histoire, éthique et politique, sans se réfugier dans les mythes biographiques, dans les orientations partisanes ou dans une attention purement textuelle aux œuvres littéraires. Placée sous le haut patronage de Madame Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, et organisée par l’Association des Amis de Max Jacob en partenariat avec l’U.F.R. Lettres Langues et Sciences Humaines de l’université d’Orléans, le laboratoire META, centre de recherche sur les littératures et les civilisations, dirigé par William Marx, et la section de Français de l’université de Lausanne, cette journée a rassemblé avec succès les chercheurs et un public nombreux. S’inscrivant au sein de recherches actuelles qui visent à dépasser la scission entre œuvre et vie de cet auteur, la considération de l’histoire poursuit les travaux consacrés à « Max Jacob, personnage de romans » (Les Cahiers Max Jacob n° 8) et se lie avec le colloque international sur la correspondance qui aura lieu l’année prochaine à l’université d’Orléans.

Si les interprétations de l’œuvre ou de l’esthétique de Max Jacob conduisent aujourd’hui à un certain consensus critique, il n’en est pas de même en ce qui concerne la biographie de l’auteur. Sur ce plan qui, tout comme l’œuvre, est particulièrement complexe, le questionnement n’a pas encore bénéficié des mêmes interrogations méthodologiques, des mêmes mises à plat critiques et parfois des mêmes changements que celui portant sur les œuvres littéraires. Or, c’est bien sur un tel cheminement que nous avançons, pas à pas, jalon par jalon, en traitant de différents aspects qui lient en profondeur, de manière souterraine parfois, l’œuvre et la vie de Max Jacob. Dans ce parcours, les rapports aux événements historiques qui ont ponctué son existence sont cruciaux, et ils engagent plusieurs types de questionnement. Que ce soit l’articulation du religieux et du politique, de l’esthétique et de l’éthique, de la correspondance et des carnets de notes, de la publication en revues ou des éditions de recueils, la question de l’histoire chez Max Jacob conduit à rassembler les outils critiques issus des approches littéraires et ceux d’autres disciplines en sciences humaines, principalement les disciplines historiques, sociologiques et philosophiques.

De 1876 à 1944, des débuts de la Troisième République à sa déportation tragique à Drancy, Max Jacob a été confronté à de nombreux événements historiques nationaux et internationaux : affaire Dreyfus, Grande Guerre, Révolution russe, instabilités gouvernementales, crise économique, montée de l’antisémitisme et des régimes totalitaires, génocides. Comment s’inscrit-il face à ces événements en tant qu’écrivain d’avant-garde(1) ? Cet auteur, souvent déroutant par ses stratégies ironiques, prend-il la mesure des événements qui bouleversent le monde ? Range-t-il l’activité artistique dans une autonomie qui la détache de toute fonction dans le débat public ? Par ailleurs, reste-t-il sur la même position tout au long de son parcours ? Quelles différences perçoit-on alors entre l’écrivain de l’arrière lors de la Première Guerre, le conservateur de l’entre-deux-guerres et l’homme menacé à partir de l’Occupation ? Comment prend-il position face à la montée du fascisme lors de son voyage en Italie de 1925 ? Ce volume tente de répondre à ces questions qui sont aussi cruciales que peu évoquées par la critique jacobienne.

S’il est commun de dire que Max Jacob n’est pas un écrivain politiquement « engagé », avec une production littéraire qui viserait à agir directement sur les enjeux politiques et sociaux d’une époque, il reste néanmoins à considérer ses positionnements effectifs dans sa vie comme dans son œuvre. Ces éléments peuvent être observés à travers des études de sa biographie et de sa pratique épistolaire. Toutefois, il a également paru important de donner une place importante à l’évocation des événements historiques dans sa production poétique. Que deviennent alors les notions fondamentales de son esthétique et les traits spécifiques de son écriture ? Comment conjuguer la recherche de l’émotion et la permanence de l’ironie face à des événements historiques considérables ? Pour répondre à ces questions, il s’est agi lors de cette journée d’étude de constamment replacer les propos de Max Jacob dans leur contexte historique, afin de situer au mieux cet auteur par rapport au champ littéraire et aux débats, souvent virulents, sur l’engagement des écrivains à ce moment-là.

Loin du militantisme, mais ancré dans une idéologie religieuse, retiré à Saint-Benoît-sur-Loire, mais rattrapé par les persécutions contre les juifs, observateur des tensions sociales, politiques, mais se refusant à des prises de position publiques qui l’enfermeraient, Max Jacob offre un terrain d’étude particulièrement instable et souvent paradoxal. C’est pourquoi ses positions prennent sans doute une grande originalité dans le domaine littéraire pour ces périodes marquantes de l’histoire française, en étant rattachées à des contextes généraux : opposition à la propagande après 1915, conversion au catholicisme(2), fréquentation du cercle de Jacques Maritain, ambivalences face à l’Action française, alignement sur les positions du Vatican lors de la guerre d’Espagne, effroi face aux horreurs de l’invasion et de l’occupation allemandes. C’est pourquoi les différentes études, bien que consacrées de manière monographique à Max Jacob, permettent plus largement de mieux saisir un contexte particulier pour les écrivains, par-delà les dichotomies trop simples entre la droite et la gauche, les conservateurs et les révolutionnaires, les pratiquants et les athées ou encore entre les écrivains engagés et les écrivains valorisant l’autonomie de l’art.

PRÉSENTATION DES ÉTUDES

Sept études sont ici réunies. Elles proposent des points d’ancrage, éclairent un contexte historique et mettent en perspective le parcours biographique de Max Jacob. Si les propositions de conférence ont fait l’objet d’un examen par un comité scientifique constitué de Géraldi Leroy, Georges Bensoussan et des organisateurs, la publication des actes a également bénéficié de la lecture du comité de rédaction des Cahiers Max Jacob.

L’article d’ouverture, consacré aux positionnements politiques transversaux dans la correspondance, est une contribution de Géraldi Leroy, professeur émérite en littérature française de l’université d’Orléans, et l’un des principaux spécialistes français des liens entre littérature et histoire au XXe siècle. Ce critique situe la démarche de Max Jacob dans un contexte marqué par d’intenses débats politiques essentiellement focalisés sur les questions de la guerre et des institutions parlementaires. Contrairement à la posture des « intellectuels », l’attitude de Max Jacob, qui connaissait la plupart des protagonistes en débat, n’est pas aisée à déterminer, car il s’est gardé en règle générale de prendre publiquement parti. Pourtant, Géraldi Leroy montre, par de nombreux exemples tirés de la correspondance, qu’il avait des opinions tranchées en ce domaine et qu’il a adhéré à un moment donné à l’idéologie de l’Action française ou plus constamment aux positions vaticanes sur des points discriminants. Si, dans les faits, passivité et résignation, même au moment des mesures antisémites, caractérisent son comportement, Max Jacob paraît guidé par l’idée qu’il se faisait d’une esthétique incompatible à ses yeux avec l’engagement politique et, plus encore, par ses convictions catholiques. Jusqu’à la fin, il persistera, selon Géraldi Leroy, dans un repli, parfois illusoire, en refusant d’en mesurer l’inadéquation face au phénomène totalitaire.

Alexander Dickow, doctorant en littérature française aux universités Rutgers New Jersey et Paris VIII, se concentre quant à lui sur les six premiers poèmes du Cornet à dés, « qui font allusion à la guerre » selon l’ « Avis » au lecteur qui les introduit. La position liminaire de ces textes, ramenée à l’absence thématique du conflit mondial ailleurs dans le recueil de 1917, permet de considérer l’attitude du poète face à la Première Guerre mondiale. Or, ces poèmes suggèrent des sympathies inacceptables pour la propagande de l’époque (pacifisme, catholicisme antipatriotique, espionnage) sans que le poète assume de position politique claire : il « s’accuse » en se disculpant. Au lieu de prendre position, Max Jacob met en scène le climat de soupçon de cette période, en dénonçant la rhétorique des médias en temps de guerre. Cette attitude volontairement ambiguë convoque finalement une atmosphère de menace et d’angoisse sous-jacente à ces poèmes, comme dans le reste du Cornet à dés, et qui semble ramener le drame « personnel » à un niveau plus général et historique.

Max Jacob a entretenu une relation intellectuelle et amicale avec Jacques et Raïssa Maritain à partir du milieu des années vingt. Les fréquentant dès 1926, ayant connaissance du milieu néo-thomiste de l’époque et des écrivains qui leur sont associés, l’auteur du Cornet à dés considère Jacques Maritain comme une « conscience de [l’]époque», avec qui il entretient une correspondance. C’est justement l’éditeur scientifique de leur correspondance parue en 1999(3), Sylvain Guéna, docteur de l’université de Brest, qui présente l’importance de cette relation et son impact sur la considération des enjeux historiques de l’époque par Max Jacob. Sylvain Guéna détaille plus particulièrement les liens, puis les tensions et les différences entre Maritain et Maurras face à qui Max Jacob se situe. Ses prises de position sont hésitantes, et elles finissent par se ranger sous la perspective du Vatican. Cette attitude se retrouvera dans d’autres situations de tension, comme la guerre d’Espagne, où il se tiendra à distance des positions plus engagées de Maritain.

En 1925, Max Jacob se rend en Italie. Le Jubilé décrété par Pie XI, l’envie de rencontrer ses amis et le besoin de quitter Saint-Benoît-sur-Loire fournissent les motivations principales de ce voyage. Qu’en est-il de ses impressions de voyage alors que le pouvoir autoritaire est en place ? Le carnet de voyage en Italie(4) croisé avec la correspondance permet à Hélène Henry, depuis longtemps vouée à la critique jacobienne, d’y répondre sous forme d’entretien avec Patricia Sustrac. De nouveau, la situation politique est absente des notes et des lettres de l’auteur. Hélène Henry rappelle en quelles occasions Max Jacob parle de Mussolini. Pourtant, le poète recevait à Saint-Benoît de nombreuses publications en provenance d’Italie. Il a certainement dû avoir connaissance de la teneur du Manifeste des Intellectuels fascistes qui réunit de nombreux futuristes et de l’évolution de Marinetti. Le fascisme représente ainsi pour Max Jacob un « problème interne » à l’Italie. Cette attitude préfigure celle qui sera adoptée face à la guerre d’Espagne, où la crainte du bolchévisme anti-chrétien sera centrale pour ses positionnements. Liant dans sa conclusion le rapport à l’Italie et à l’Espagne, Hélène Henry rappelle en outre l’important silence de l’auteur du Laboratoire central face au Guernica de Picasso.

C’est pour ma part en me concentrant sur le poème « Reportage de juin 1940 » (Derniers poèmes) que j’évoque le rapport de Max Jacob à l’invasion allemande. L’édition originale de 1942, parue dans la revue résistante Confluences, ainsi que le ton tragique accompagnant l’évocation des faits dans ce poème, dans son carnet de notes ou dans sa correspondance, souligne la compréhension et la peur d’une catastrophe majeure. Le lieu de l’édition originale et une certaine emphase l’assimileront à un poème de la Résistance, repris dans diverses anthologies de 1946 à nos jours. Pourtant, à lire le texte en détail, nul engagement politique particulier ne semble apparaître, mais plutôt une figuration apocalyptique qui marque l’effondrement du monde. Cette figuration se fait à partir d’événements qui ont effectivement eu lieu dans le Loiret et que l’auteur avait recueillis dans son « journal de guerre ». Bien que le ton soit étrangement proche de celui de Victor Hugo, notamment dans Les Châtiments, la fonction du poète se situe entre le témoin impuissant, qui relate les « horreurs » en tant que personnage, et l’auteur qui retrouve un ordre et un souffle ample après une période de désespoir et d’arrêt de l’écriture poétique. En comparant les trois versions du poème, en resituant la genèse du texte et en dégageant la fonction compassionnelle de l’écriture poétique, l’étude montre comment ce poème transforme l’esthétique des poèmes de guerre du Cornet à dés. L’article est suivi par les trois versions publiées du poème, ce qui permet de resituer les variantes.

Le nom de Max Jacob a figuré quatre fois au sommaire de la revue Fontaine, dirigée par Max-Pol Fouchet entre 1940 et 1947. Pour François Vignale, directeur de bibliothèque et doctorant en histoire à l’université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines, ce petit nombre d’apparitions pourrait ne pas justifier d’étude particulière, mais cette collaboration éditoriale mérite pourtant l’intérêt au moment où Max Jacob se place dans une certaine discrétion par crainte des répressions. Outre Fontaine, il n’a contribué qu’à deux autres revues légales durant la période 1940- 1942 : Poètes casqués dirigée par Pierre Seghers en 1940 et Confluences de René Tavernier en 1942. Ces trois revues ont pour particularités d’être provinciales, de mettre en avant une nouvelle génération de poètes et d’incarner l’opposition au régime de Vichy. Max Jacob a donc participé à un processus de légitimation au sein du champ littéraire en apportant sa caution à ces revues débutantes. François Vignale suggère alors que ces contributions du poète pourraient être considérées comme des actes politiques à part entière. Se concentrant sur le cas particulier de la revue Fontaine, revue du « refus en pleine lumière » selon l’expression de son emblématique directeur Max-Pol Fouchet, à laquelle le débarquement anglo- américain de novembre 1942 confère un statut de revue quasi officielle de la France Libre, ce critique rappelle que Jacob n’y contribua que deux fois, en 1940 et en 1942. La collaboration de 1940 ne s’inscrit guère dans une démarche politique, bien que la revue eût déjà présenté dans ses numéros précédents la nécessité pour les poètes et pour la poésie de ne pas se tenir à l’écart des événements. L’envoi de 1942 s’inscrit quant à lui dans un tout autre contexte. Les textes de Max Jacob prennent place dans le numéro spécial intitulé « De la poésie comme exercice spirituel » (n° 19-20, mars-avril 1942). Les liens du poète à l’École de Rochefort, tout comme la correspondance entretenue avec Max-Pol Fouchet, montre, selon François Vignale, une proximité dans la conception de la poésie.

Dans la préface aux Derniers Poèmes, J.M.G. Le Clézio, récent lauréat du Prix Nobel de littérature, écrit : « Il y a comme un symbole dans ce destin, qui est fait de cette double rencontre : la rencontre de Max Jacob avec son Ange, un jour de septembre 1909, dans “l’obscure petite chambre”, qui bouleversa toute sa vie et le convertit au christianisme et, trente ans plus tard, la rencontre de l’humiliation raciale et de la mort nazie dans le camp de Drancy. »(5) Patricia Sustrac, présidente de l’Association des Amis de Max Jacob, revient sur les derniers jours de Max Jacob et sur les actions menées par son entourage pour tenter de le libérer, en présentant sous une approche historique les documents et les archives à disposition. La disparition du poète génère évidemment une multitude de questions, voire parfois de polémiques sur les insuffisances des actions menées par Jean Cocteau, Sacha Guitry ou Pablo Picasso. Dès de son arrestation, le 24 février, jusqu’à l’annonce officielle de son décès le 13 mars, une forte mobilisation a pourtant rassemblé le cercle de ses amis pour tenter d’obtenir une mesure de clémence en sa faveur. Mais Max Jacob ne fut jamais libéré, comme le démontrent les archives. Or, la conviction, erronée, qu’une libération aurait été accordée le lendemain de sa mort se retrouve chez ses biographes, et elle persiste encore aujourd’hui. À l’encontre des mythes qui ont alimenté sa mort, Patricia Sustrac repart des aléas administratifs qui ont accompagné la demande de clémence et des débats internes au champ artistique dans le contexte politique de l’après-guerre.

Les différentes contributions réunies dans ce volume concordent globalement dans leurs observations et dans leurs conclusions principales. Exerçant avec régularité sa citoyenneté par le vote, Max Jacob a toujours pensé l’art en termes d’autonomie et ses convictions catholiques s’affilient aux positions du Vatican. Si, généralement, il s’est gardé de prises de positions publiques sur les événements historiques en tant qu’écrivain, la publication posthume de sa correspondance ou de ses carnets a permis de reconstruire bon nombre de ses convictions éthiques et politiques dans une période historique particulièrement troublée. Se refusant à endosser la posture de « l’intellectuel », son silence public et ses hésitations personnelles peuvent surprendre, voire déranger, aujourd’hui : comment ne pas dénoncer la poussée autoritaire de Mussolini en Italie ? Comment ne pas soutenir la démocratie en Espagne ou s’élever contre le massacre de Guernica ? Comment ne pas condamner plus fermement la radicalisation de l’Action française ? Comment ne pas lutter plus activement contre l’occupation nazie ? Plutôt que de s’en tenir à des jugements posés à partir d’un tout autre contexte, l’objectif de ce volume est de spécifier et de donner à comprendre les fondements idéologiques de cet auteur, sans complaisance et sans recourir à certains mythes biographiques. Une telle perspective conduit au fait que pour Max Jacob se dessine une hiérarchie des valeurs et de menaces autour de ses convictions catholiques et de l’autonomie de l’art. Dans ce cadre, les actions anti-chrétiennes, notamment celles placées sous le signe du bolchévisme, lui paraissent les plus pires abominations parmi les abominations de son temps. Une telle axiologie personnelle se conjugue avec la certitude qu’un écrivain, de surcroît un poète, ne doit guère prendre de positions engagées politiquement dans le débat public. Cela pourrait conduire à séparer l’œuvre et la vie de l’auteur, comme il l’a en partie préconisé dans son esthétique, mais il se trouve que l’histoire, tout comme sa relation à l’histoire, se retrouvent investie dans les œuvres. Il est particulièrement intéressant de voir les liens entre ses stratégies d’écriture poétique et les événements historiques en cours. Alors que dans les œuvres autour de la Première Guerre mondiale, le détournement ironique des discours journalistiques et l’effondrement de l’identité par l’angoisse sont les stratégies majeures pour traiter d’un état général du monde, ce sont plus tardivement les dimensions de la souffrance et de la compassion chrétienne qui sont mises en avant. Entre-temps, la vie et l’écriture de Max Jacob sont elles-mêmes rattrapées par les événements historiques, et il sera la victime d’une machinerie de mort comme des millions d’autres personnes l’ont injustement été à ce moment-là. Saisir ces nuances vise justement à recontextualiser la cohérence des convictions personnelles de cet auteur, à comprendre son silence public et à explorer la puissance accordée au travail esthétique.

La présente publication et la journée d’étude qui l’a précédée ne représentent que les fondations pour explorer un horizon de recherche plus vaste. Plusieurs points, parfois traités par des conférenciers, parfois moins évoqués, n’ont pu être développés dans le présent volume. Parmi ceux-ci se trouvent notamment les rapports au génocide arménien, la question de la judaïté et de la conversion, la crainte face au communisme ou encore le rapport complexe à la guerre civile espagnole. Nous sommes loin d’avoir circonscrit les liens de Max Jacob à l’histoire, mais ce neuvième numéro des Cahiers cherche avant tout à placer au centre de l’intérêt un traitement nouveau des rapports entre vie, œuvre, éthique et politique chez cet auteur, en partant de méthodes historiques, sociologiques, philosophiques ou de critique littéraire, qui permettent de dépasser les avis tranchés, les partis pris idéologiques ou plus simplement une indifférence pour ce genre de recoupements. En cela, après les travaux sur « Max Jacob personnage de romans » ou en préfigurant ceux sur la correspondance comme « œuvre », les Cahiers permettent non seulement de fournir des apports monographiques, mais encore de situer de manière ouverte l’auteur du Cornet à dés dans des réflexions actuelles plus vastes menées dans les universités.

REMERCIEMENTS

Cette journée d’étude a bénéficié de nombreux soutiens tant scientifiques que financiers sans lesquels elle n’aurait pu être élaborée. Au nom des organisateurs, je remercie en premier lieu Géraldi Leroy, professeur émérite de l’université d’Orléans, pour avoir rejoint le comité scientifique et avoir intégré l’étude de Max Jacob à son domaine, ainsi que Georges Bensoussan, historien et rédacteur en chef de La Revue d’histoire de la Shoah, qui a également participé à ce comité. Parmi les liens scientifiques nouveaux issus de cette journée, je tiens à souligner l’association fructueuse avec le laboratoire META de l’université d’Orléans (EA 4230), centre de recherches sur les littératures et les civilisations, dirigé par William Marx, dont les questionnements interdisciplinaires rejoignent bon nombre de nos préoccupations actuelles sur Max Jacob. Bien évidemment, nous avons une pensée reconnaissante pour tous les conférenciers qui nous ont rejoints, en venant parfois de loin, et qui ont enrichi cette journée d’étude, tout comme pour Claude Mouchard et Guy Basset qui ont animé les débats. À l’université d’Orléans, une gratitude particulière est adressée à Alain Davesne, directeur de l’U.F.R. Lettres, Langues et Sciences humaines, et à Emilia NDiaye, vice-directrice de l’U.F.R. qui le représentait, pour l’accueil chaleureux qui nous a été réservé dans une situation de tension pour les universités françaises. Ces diverses collaborations scientifiques ont été soutenues financièrement, de manière déterminante, par le Conseil régional Centre et la D.R.A.C. Centre. Nous remercions ces institutions de la confiance accordée et d’avoir ainsi répondu à nos demandes. L’Association des Amis de Max Jacob s’est également encore une fois mobilisée pour accompagner et aider la tenue de cette manifestation scientifique sur divers plans ; une longue liste de noms serait nécessaire pour saluer les diverses énergies bénéfiques qui ont œuvré pour cet événement. Puissent ces actes, publiés quelques mois seulement après la tenue de la journée d’étude, montrer combien il importait de se consacrer à Max Jacob sous un angle nouveau et complexe, celui des liens entre autonomie de l’art et mouvements de l’histoire collective.


* Rédacteur en chef des Cahiers Max Jacob, université de Lausanne.

NOTES

1 — Bien qu’il ait obtenu divers prix d’histoire au cours de sa scolarité, Max Jacob ne semble en revanche guère avoir eu une passion pour cette discipline, à la différence de la philosophie. Dans ses emprunts peu nombreux dans ce domaine à la bibliothèque de Quimper par exemple (cf. Les Livres de Max, Quimper : Bibliothèque municipale de Quimper et Cloître des Imprimeurs, 1994, p. 2-5), il s’oriente vers les problématiques régionalistes ou religieuses ; parfois vers des monographies de vies illustres, mais rarement vers des approches synthétiques. Dans une lettre à André Salmon, Max Jacob tient un propos incisif à la suite de la publication d’Une Orgie à Saint-Pétersbourg (Sagittaire, 1925) de son ami : « Pourtant voilà la seule histoire qui vaille, le reste ce sont les textes, c’est-à-dire les faussetés des rédacteurs de protocoles, ou les imbécillités écrites il y a 500 ans et prises au sérieux par des gens intelligents et probes aujourd’hui, Dieu sait pourquoi. » (JACOB Max, SALMON André, Correspondance 1905-1944, édition annotée et établie par Jacqueline Gojard, Paris : Gallimard, 2009, p. 162.)

2 — Voir sur les rapports de Max Jacob à la judaïté l’article de FHIMA Catherine, « Max Jacob ou la symbiose des identités paradoxales », Archives juives, vol. 35, 1/2002.

3 — JACOB Max et MARITAIN Jacques, Correspondance : 1924-1935, édition établie par Sylvain Guéna, Brest : Centre d’étude des correspondances, 1999.

4 — JACOB Max, Carnet d’Italie – Viaggio in Italia, a cura di Adriano Marchetti, Milano : Marietti, 2004.

5 — LE CLÉZIO J.M.G., « Préface », dans JACOB Max, Derniers Poèmes en vers et en prose, Paris : Gallimard (Poésie), 2003, p. 12.


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Édités par l’association des Amis de Max Jacob, LES CAHIERS MAX JACOB — revue annuelle — sont publiés avec le concours du Ministère de la Culture et de la Communication-DRAC Centre, du Conseil Général du Loiret, de  la ville d’Orléans et de Quimper, de la Communauté de Communes Val d’Or-Forêt et du Centre National du Livre.

Les Cahiers Max Jacob sont présents chaque année, en octobre,  au Salon de la revue organisé par ENT’REVUES (espace des Blancs-Manteaux à Paris) grâce à l’aide de Livre Au Centre, agence régionale pour le livre en région Centre.