CMJ n°8 - Max JACOB,
Lettres à Louis Guillaume

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Max JACOB, Lettres à Louis Guillaume, Rennes, La Part commune, 2007.

 

La reprise par les éditions La Part commune de la correspondance de Max Jacob à Louis Guillaume est une excellente nouvelle, tant ces lettres indiquent la profondeur d’une rencontre, mettent en lumière des avis sur divers auteurs, évoquent la vie quotidienne en temps de guerre et permettent un bilan des années parisiennes. Parues initialement dans le Carnet 14 de l’Association des Amis de Louis Guillaume, ces lettres forment un ensemble épistolaire riche et cohérent entre deux écrivains rattachés à une même terre, la Bretagne. Lorsque la correspondance débute en 1937, Louis Guillaume (1907-1971) est un jeune écrivain de trente ans qui envoie plaquettes et recueils à une figure marquante de la poésie moderne. Nous retrouvons dès lors les principes des « conseils à un jeune poète » chers à Max Jacob : l’émotion, le style, la syntaxe, la profondeur, l’écueil des clichés, de l’inflation des métaphores… Les évaluations et les moyens pour s’améliorer abondent (« Ne fais pas des vers à ton bureau comme on épluche une salade », p. 67).

Un des premiers points d’ancrage de cette correspondance tient à l’enfance bretonne, souvent évoquée par Louis Guillaume. Aussi Max Jacob livre-t-il son attachement à sa terre d’origine qui, en période de guerre, lui devient de plus en plus inaccessible. Les lignes sur la « maison natale » reviennent fréquemment : « La maison de l’enfance est avec la mère ce qui garde le plus de nous, de notre rayonnement, c’est un double comme la mère. La démolir c’est nous tuer en grande partie. » (p. 58) En juillet 1943, cet éloignement prend une dimension plus tragique, et Max Jacob en vient à comparer les paysages : « Non ! je n’ai plus le mal du pays, je n’ai même plus le mal du pays, j’ai la mort, j’ai le désespoir latent, profond du pays, le désespoir du pays… Je ne sais comment t’exprimer cela : il n’y a plus de mal, il n’y a plus de pays, il y a cette plaine stupide de la Loire aplatie comme moi par la vie parisienne (ah ! ah !) les amis de Paris et feues mes ambitions qui ont fait de moi le débris qui écrit cette atroce lettre. » (p. 174-175) Durant ces années, l’existence brouille davantage les origines et les identités, en perdant les repères et les lieux d’attachement ; la maison natale est ainsi à bâtir par soi-même. La Basilique, les amis deviennent une « terre natale », car « je suis né en vous, je vis en vous, et je mourrai en vous : vous êtes ma vie et non pas Saint-Benoît ni Paris ni Quimper. » (p. 98) Cette correspondance permet ainsi de mieux saisir les rapports que Max Jacob entretient avec sa région d’origine. Les salutations bretonnantes font partie du contact premier, et les discussions peuvent porter sur les liens entre la poésie et la culture populaire pour « sentir la Bretagne esthétiquement ». Là encore, l’auteur de La Côte et des Poèmes de Morven le Gaëlique prodigue de nombreux conseils à son jeune destinataire.

Cette correspondance permet de nombreuses mises au point sur les lectures faites durant cette période par Max Jacob. En effet, Louis Guillaume ne cesse de solliciter l’avis de son aîné sur plusieurs auteurs. Si, en 1941, ce sont Faulkner, Eluard et Kierkegaard qui sont évoqués, les années suivantes permettront la découverte de Camus, Blanchot. Les critiques vont bon train, notamment face à l’École de Rochefort (plus particulièrement Bouhier, « pas doué », et même Cadou qui n’est pas épargné). Sans doute plus libre d’émettre des réserves, Max Jacob semble avec Louis Guillaume dans une estime prudente et distante face à ce mouvement1. Mais ce sont aussi certains proches du passé qui sont la cible de quelques remarques acerbes : Leiris, Dabit… Quant à Hugo, il est toujours un auteur de choix pour situer la démarche poétique : « Victor Hugo à petites doses comme les poisons. »

Face aux multiples questions de Louis Guillaume sur la vie parisienne du début du siècle, Max Jacob reprend certaines anecdotes, souvent savoureuses. Cela donne une dimension comique importante à cette correspondance. « Le douanier Rousseau était une espèce de concierge : “Combien tu paies de loyer ici ?” Quand il allait chez Picasso pourtant il disait “il n’y a que deux peintres, toi et moi !” – Oui, répondit Picasso avec calme. » (p. 89), écrit-il en 1942. Sur Marie Laurencin, le propos se fait plus cruel, ou plus misogyne : « Marie Laurencin a été présentée par Braque qui l’avait connue à l’Académie Jullian. Elle a connu à Montmartre Guillaume Apollinaire qui lui a semblé la poutre de salut : elle l’a conquis pour qu’il lui donne la gloire et quand il a voulu l’épouser, elle a dit : Non ! Guillaume, tu as trop mauvais caractère. En effet, il lui flanquait des raclées. Elle a épousé un comte autrichien de 40 000 F. de rentes. » (p. 126) La conclusion de ces diverses anecdotes sur la vie parisienne tient en un passage cocasse à partir d’une comparaison animalière : « Il est vrai que nous fûmes assez orangoutangs et que de nous voir vivre était fort dégoûtant. Mais j’ai peur que ce qui rend les gens susceptibles ce soit d’avoir manqué le point noir de leurs cibles. » (p. 165)

Comme toujours avec la correspondance des années quarante, la progression des dates forment une trame tragique, et les propos de Max Jacob prennent un relief singulier. Sur l’enterrement de sa sœur au printemps 1942, il conclut sa description par une cinglante question : « À qui le tour dans la famille ? » Par ailleurs, une émouvante réflexion sur l’étoile jaune occupe quelques lignes : « Je n’ose plus dire à mes amis de venir se promener en compagnie de mon étoile jaune si gênante. Elle est gênante pour moi, pour eux, pour les habitants qui ne savent pas s’ils doivent exiger que je la porte, me pardonner de ne la porter que le moins possible ou ne pas me pardonner. Situation ridicule qui finira par me faire prendre en grippe comme un trouble-paix. » (p. 115)

Ces lettres à Louis Guillaume offrent une riche palette dans l’abondante correspondance de Max Jacob. Elles sont livrées dans un joli volume au format proche du poche, agréable et à un prix abordable. Il serait possible de regretter une orthographe et une mise en pages parfois trop en adhésion à l’original, ce qui rend à certains moments la lecture malaisée, mais cela n’enlève rien à la précieuse idée de donner cette correspondance à un plus large public.

Antonio Rodriguez


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Édités par l’association des Amis de Max Jacob, LES CAHIERS MAX JACOB — revue annuelle — sont publiés avec le concours du Ministère de la Culture et de la Communication-DRAC Centre, du Conseil Général du Loiret, de  la ville d’Orléans et de Quimper, de la Communauté de Communes Val d’Or-Forêt et du Centre National du Livre.

Les Cahiers Max Jacob sont présents chaque année, en octobre,  au Salon de la revue organisé par ENT’REVUES (espace des Blancs-Manteaux à Paris) grâce à l’aide de Livre Au Centre, agence régionale pour le livre en région Centre.