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LA VIE DANS LES ROMANS À CLÉS
Les figurations de Max Jacob
et la cohérence d’un genre
Antonio Rodriguez*
Par sa fréquentation des milieux montmartrois, ses paradoxes et sa complexité, la vie de Max Jacob a constamment suscité l’intérêt des lecteurs et des critiques. Cette fascination pour sa vie a parfois conduit à des excès interprétatifs de l’œuvre, qui ont été critiqués dans les années soixante-dix. Ainsi, par exemple, Jean de Palacio évoque-t-il les termes qui forment la légende, et les poncifs, de cette existence riche et multiforme(1). Aujourd’hui, une fois certaines précautions critiques adoptées pour éviter une transparence herméneutique entre l’œuvre et la vie, le retour de l’auteur dans la théorie littéraire est globalement accepté à travers différentes approches (sociologiques, éthiques, historiques)(2). L’exploration des interférences entre le monde empirique et le monde du texte est même devenu un phénomène prépondérant, accompagnant les mouvements littéraires de l’autofiction, du retour de l’autobiographie ou encore des « fictions biographiques(3) ». Les croisements entre biographie et étude des textes sont désormais particulièrement intenses, et l’œuvre de Max Jacob ainsi que sa vie peuvent offrir des champs d’interrogation des plus intéressants. Tel est notamment le cas de la présence importante de cet auteur comme personnage dans des romans à clés de la première moitié du XXe siècle, écrits du vivant de l’auteur.
Si Max Jacob a pu servir certaines fictions, en tant que personnage référentiel, il est surtout marquant d’observer comment ses amis littéraires ont fait de lui une figure dans le genre du roman à clés. Car notre corpus est fondé sur un type précis de romans, relativement peu étudiés par la critique et souvent dépréciés par le jugement commun. Déjà, à la fin de la Grande Guerre et durant l’Entre-deux-guerres, adopter un tel genre impliquait certains risques de reconnaissance, notamment pour de jeunes auteurs qui s’affirmaient dans le champ littéraire(4). Comment caractériser le roman à clés, dans la mesure où les spécificités d’un genre tiennent à quelques traits hétérogènes(5) ? Par sa longueur, tout d’abord, pour différencier un roman d’une simple nouvelle, comme le rappelle Max Jacob à Reverdy(6) ; par une intrigue qui se déploie selon une tension narrative, bien sûr ; par une intrication d’un univers fictionnel avec des composantes référentielles et factuelles, biographiques notamment, qui visent une double lecture ; mais aussi, comme nous le verrons, par la mise en place d’un système de valeurs dans une initiation. Les clés sont ainsi des ouvertures qui permettent de reconfigurer l’intrigue, qui pourrait paraître purement fictionnelle, en une description cryptée de moments effectivement vécus. Ce dédoublement de l’acte de lecture engage non seulement une réception de la fabulation pour suivre l’histoire, mais aussi une série de connaissances sur certains points d’ancrage pour identifier les personnages. Sur cette base se construit ensuite un univers, qui peut être fictionnel, notamment pour servir de base à la caricature et à l’ironie, en visant une certaine vraisemblance par rapport aux faits qui ont pu se produire. Comment articuler les personnages du roman à clés avec des circonstances historiques ? Quels sont les traits retenus pour figurer par un personnage un confrère, qui est souvent un ami littéraire ? Sur quels éléments vérifiables se fondent les dialogues, les enchaînements des actions ? Et, plus largement encore, quelles expériences récurrentes ces romans à clés cherchent-ils à évoquer à travers une intrigue ?
Le corpus sur lequel nous nous fondons(7) a la spécificité d’être une production du vivant de l’auteur. Cela implique une première interférence entre production et réception, dans la mesure où Max Jacob allait se reconnaître dans ces ouvrages et réagir. La polémique aura bien lieu avec Reverdy(8), Carco, Soupault et Sachs, la plupart du temps en mettant un terme à la relation amicale, voire à tout contact. Pour Salmon et Aragon, la polémique ne se présentera pas dans la mesure où le personnage figurant Jacob possède des traits avant tout bénéfiques. Écrire un roman à clés sur le milieu artistique engage ainsi une affirmation nouvelle dans le champ littéraire, avec des risques et parfois quelques succès. Dans le cadre de ce corpus, les romans à clés n’auront pas un succès public important à leur sortie, ce qui provoquera souvent la déception des auteurs. Il faut dire que les romans à clés de cette époque n’ont guère connu le soutien du milieu littéraire, au premier plan concerné, et que le public, ne pouvant saisir que des références par bribes, a certainement délaissé ce genre ambivalent.
D’un point de vue global, les trames de la plupart de ces romans à clés engagent une quête d’initiation : ce sont des romans de formation au monde littéraire pour la plupart, ainsi que pour certains à l’amitié ou à l’amour. Dans le premier cas, chez Reverdy, Carco, Aragon et Soupault, un jeune auteur se confronte aux mœurs particulières de ses aînés, en étant tout d’abord fasciné par eux, puis en rejetant leur modèle, parfois violemment, pour davantage trouver sa voie. Ces jeunes auteurs, dans les textes comme dans le monde empirique, sont encore peu reconnus par le champ littéraire et se trouvent dans une position ascendante d’affirmation. La figure de Max Jacob prend dès lors fréquemment les traits d’un conseiller, attirant le débutant, avec une aura mystérieuse et puissante, qui se révélera généralement être une illusion, sauf pour Salmon et Aragon. Ainsi, non seulement les pouvoirs de l’auteur du Cornet à dés dans le champ littéraire sont limités mais, comme nous le montrerons, Jacob passe constamment pour la victime d’autres personnages plus puissants (Apollinaire, Picasso ou même un démon). C’est pourquoi les moments d’admiration, de séduction et de positionnement de Jacob en tant que maître sont éphémères, engageant finalement une inversion de la relation. D’admirable, Max Jacob devient fréquemment pitoyable, parfois de manière sympathique mais aussi de manière grotesque et antipathique. Or, ces composantes typiques des relations amicales entre aînés et débutants dans le milieu littéraire de l’époque se trouvent posées sur la scène publique, avec des descriptions peu flatteuses qui peuvent légitimement créer des troubles dans la relation.
Notre objectif à travers la présente étude est de prendre le corpus synthétiquement, pour montrer les éléments communs et les différences dans les figurations de Max Jacob et dans les intrigues. Ainsi, il s’agit de se concentrer davantage sur le fonctionnement intrinsèque du texte pour voir quelle est la fonction accordée à la figure de Jacob et quels sont les éléments parallèles pour évoquer cette personne en la cryptant en personnage romanesque. Une fois ce tour d’horizon réalisé, nous élargirons la réflexion au genre du roman à clés, à ses déterminations discursives et aux interactions qu’il peut provoquer.
POINTS COMMUNS ET DIFFÉRENCES
Plutôt que d’engager une confrontation entre le monde du texte et la biographie, entre le factuel et le fictionnel, qui relève plutôt de l’approche monographique, nous nous interrogeons sur le statut du personnage dans l’univers narratif. Nous allons ainsi prendre certains critères (énonciatifs, sémantiques, pragmatiques) pour situer la figuration de Jacob. Tout d’abord, il s’agit d’observer le personnage dans l’économie énonciative, son statut par rapport à d’autres personnages, son importance (quantitative et qualitative) dans la trame, sa position en tant qu’actant, les connotations et les figures qui s’y rattachent (Arlequin, Polichinelle, Tartufe…), l’importance de son nom, ainsi que les clés récurrentes retenues pour figurer Max Jacob.
Commençons par situer l’époque à laquelle renvoie le personnage dans les textes. Comme six de ces sept romans ont été publiés avant 1924, c’est avant tout les milieux artistiques de Montmartre et de Montparnasse qui apparaissent, notamment par les références à la chambre de la rue Ravignan, par la présence d’Apollinaire ou de Picasso. Seul le texte de Maurice Sachs paru en 1935 fait exception, en engageant un personnage plus proche de la retraite à Saint-Benoît-sur-Loire, éloigné de la scène artistique et au capital symbolique largement acquis. Ces différences de contexte impliquent une modification des personnages en interaction, avec davantage de clés et de références connues pour les premiers romans.
Le personnage figurant Max Jacob n’est jamais en position de narrateur. Son statut de personnage diffère entre les romans. Il est un personnage principal chez Reverdy, Salmon et Carco ; un personnage secondaire marquant chez Aragon et Sachs ; un personnage secondaire marginal chez Soupault et Apollinaire. Le fait d’être un personnage principal ne signifie pas pour autant qu’il soit plus valorisé dans les descriptions. Chez Carco, « M. Crabe », présent dans la première partie et ayant une résonance dans tout le roman, est particulièrement malfaisant, en tant que contre-modèle habité par le démon Balthazar. Chez Reverdy, « le Mage Abel », à la présence importante et constante, est en face à face avec le voleur de Talan, et il se révèle particulièrement ambivalent dans son aide et sa suspicion. Tandis que chez Salmon « Septime Febur », présent dans l’intégralité du roman, mais de manière épisodique, se trouve être un médiateur bénéfique à certains moments cruciaux de l’intrigue. Cette présence importante ne se retrouve pas chez Soupault, où « Maxime Lévy » apparaît brièvement à deux reprises (2 pages en tout(9)), ainsi que chez Apollinaire, où « Moïse Deléchelle » a un rôle négligeable (4 pages), sauf dans le dénouement où il revient étrangement. L’importance du rôle sera intermédiaire chez Aragon : quantitativement restreint, il occupe avant tout un chapitre sur quinze ; qualitativement cruciaux, les préceptes de « Jean Chipre » (véritablement proches de ceux de Jacob) serviront de modèle final après une admiration et un rejet momentanés. Chez Sachs, « César Blum » ne se trouve qu’à la fin d’Alias, mais il se révélera être un personnage marquant par son degré grotesque élevé, par sa corruption et ses contradictions jusqu’au dénouement.
Si la quête d’initiation des jeunes hommes dans les romans de Reverdy, Aragon, Soupault, Sachs et Carco est marquée par des amitiés littéraires auprès des principaux acteurs du monde littéraire, la figure de Max Jacob adopte des positions d’adjuvant et d’opposant, parfois dans un dédoublement des positions. Bien évidemment, les romans qui valorisent Max Jacob le placent dans une perspective d’adjuvant, alors que ceux qui prennent une dimension plus critique le positionnent en tant qu’opposant à la quête. Ainsi, chez Carco et Sachs, la figure de Jacob est un contre-modèle hypocrite, qui incarne tous les vices et polarise les caractéristiques de la perdition dans le milieu littéraire. Chez Aragon, elle a une fonction adjuvante en tant qu’homme pauvre, intègre, appelé par son art à tous les sacrifices. Même le repoussoir qu’implique la misère servira le jeune homme à combattre ce qui lui semble un idéal romantique(10). Dans Le Voleur de Talan, la situation du Mage Abel est plus ambivalente : il contrecarre les projets du jeune homme par des soupçons et une forme d’enfermement, mais il est aussi une instance de pouvoir et d’ouverture qui permet le vol et l’émancipation malgré lui. Dans l’aire actantielle, la figure de Jacob se compose parfois en lien avec d’autres personnages à clés. C’est souvent Picasso qui apparaît sous un profil particulièrement négatif : chez Aragon, Jean Chipre, l’« Homme Pauvre » est en opposition au terrible « Homme Arrivé », incarnation de tous les maux de la suffisance ; chez Salmon, la figure de Jacob rattrape la cruauté de Picasso face à la petite Raymonde (Léontine). Dans le système des personnages, l’auteur de Saint Matorel prend même, dans La Négresse du Sacré-Cœur, une dimension centrale, puisque nous avons affaire à la « bande à Septime » et non à une bande montmartroise qui serait rassemblée autour de Picasso ou d’Apollinaire. Dans les deux romans où Jacob a un rôle plus restreint, il n’est pas étonnant qu’il soit soumis au rayonnement d’un autre artiste plus important : chez Soupault, c’est Apollinaire qui centralise le pouvoir littéraire ; chez Apollinaire, Jacob est simplement décrit aux côtés de Picasso.
Du point de vue onomastique, le personnage figurant Max Jacob engage par son nom des clés plus ou moins explicites. Ainsi, quatre auteurs relèvent les origines juives du nom ou du prénom : Lévy (Soupault), Blum (Sachs), Moïse (Apollinaire) et Abel (Reverdy). Une autre caractéristique consiste à créer une association avec le nom du personnage référent : Maxime (Soupault), Chipre pour Cyprien, le nom de baptême de Max Jacob (Aragon), Deléchelle en renvoyant à « l’échelle de Jacob » (Apollinaire). L’importance de l’activité religieuse de Jacob apparaît également par le Mage chez Reverdy, par Moïse chez Apollinaire et par le nom de baptême chez Aragon. Enfin, d’autres connotations ont lieu à travers le prénom : Abel pouvant renvoyer à Caïn et au fratricide dans la dispute des deux poètes, César engage une figure de pouvoir tyrannique. Le cas de « Septime Febur » chez Salmon montre un détachement de ces différents critères et place ce roman encore en marge des autres textes. Si la fonction de « forgeron » liée à « Febur » peut impliquer diverses interprétations sur le rôle de Max Jacob dans l’intrigue et le milieu littéraire, celle du chiffre 7 associé au prénom pourrait renvoyer à l’adresse la plus connue de l’auteur du Cornet à dés, le 7 rue Ravignan. Cette dernière interprétation aurait une légitimité par rapport au contexte historique montmartrois dans lequel se situe l’univers textuel.
Dans les comparaisons à d’autres personnages, certaines figures du répertoire sont mobilisées. Chez Sachs par exemple, César Blum est associé à Polichinelle, à Tartufe et au Juif tel que la propagande antisémite des années trente pouvait le caractériser. Polichinelle mue César Blum en marionnette caricaturale, liée à la Commedia dell’Arte. Souvent reprise dans les journaux satiriques du XIXe siècle et du début du XXe siècle, Polichinelle a un nez crochu, un menton en galoche, une mine rougeaude et des bosses. Ces caractéristiques physiques s’accordent à la description du personnage comme le prototype du Juif dans la propagande antisémite :
Sur un corps très court et très rond, il portait une tête énorme dont du plus loin que je le vis je remarquai le nez immense et busqué et, lorsqu’il enleva son chapeau pour me saluer avec un respect si exagéré que j’en fus embarrassé, un crâne tout nu que cerclaient à peine quelques poils blancs, des yeux minuscules et pétillants, des grosses lèvres sensuelles et une petite main trop grasse, trop courte, trop blanche à laquelle on voyait bien qu’il était juif(11). |
La comparaison à Tartufe est bien évidemment plus attendue, dans la mesure où Max Jacob s’est identifié à ce personnage dans la Défense de Tartufe, qui a considérablement marqué Maurice Sachs. Un autre personnage de la Commedia dell’Arte est associé à Jacob chez Apollinaire ; il s’agit d’Arlequin, qui reviendra régulièrement ensuite chez d’autres auteurs pour qualifier Max Jacob. Arlequin a une fonction de valet comique, bouffon avec peu d’intelligence, crédule et paresseux. Constamment à la recherche de nourriture, il est prêt à toutes les acrobaties pour parvenir à en trouver et à dormir en évitant l’effort. Dans La Femme assise, Moïse Deléchelle est simplement posé dans l’aire actantielle comme faisant partie de l’entourage de Picasso. À la fin du roman, il se retrouvera en espion menant une action insensée dans un rebondissement final. Chez Carco, c’est plutôt la dépossession de soi qui est mise en avant : non seulement Jacob est animalisé et soumis à la puissance de son signe astrologique par son nom, M. Crabe, mais il devient la marionnette du démon Balthazar qui tire les ficelles de sa personnalité. Les connotations par les figures du répertoire ou par l’animalité ont pour la plupart une portée négative pour souligner le manque de consistance, une personnalité sous influence ou encore l’hypocrisie.
Ces connotations liées à d’autres personnages du répertoire nous conduisent à considérer les traits récurrents qui apparaissent pour caractériser Max Jacob dans ces romans à clés. Il a généralement un statut d’écrivain, de poète et parfois d’artiste, comme le peintre chez Maurice Sachs. La profession et l’activité esthétique sont un des premiers moyens pour spécifier le rôle de Jacob dans ces quêtes initiatiques. La religion est un autre trait majeur. Toutefois, si elle apparaît régulièrement (sauf chez Soupault et Apollinaire où les descriptions sont plus brèves), l’activité religieuse du personnage est différemment évaluée : d’aucuns, comme Sachs et Carco, voient en elle une imposture(12), qui joint le prosélytisme à des mœurs dissolues, tandis que d’autres, comme Aragon ou Salmon, soutiennent la sincérité de la démarche (par l’ascétisme et le sens de la mission dans Anicet ou le Panorama, par la candeur dans la Négresse du Sacré-Cœur). Le Mage Abel reste quant à lui encore une fois ambivalent, car il possède certes des pouvoirs, mais ses inclinations religieuses passent souvent pour des illusions.
Deux autres traits reviennent fréquemment pour figurer Max Jacob : le statut de victime et la pauvreté. Dans presque tous les romans du corpus, à l’exception de ceux d’Apollinaire et de Sachs, le personnage figurant Max Jacob est victime des autres ou de lui-même, que cela soit en étant critiqué par ses amis littéraires (Soupault), en étant volé de ses secrets (Reverdy), en étant hanté par un démon et en se suicidant (Carco), en arrangeant les affaires embarrassantes de Picasso (Salmon) ou en étant dévalorisé par ce dernier (Aragon). Ce statut de victime dès les années vingt du XXe siècle est des plus intéressants, car il ne sera que renforcé par les événements de la Seconde Guerre mondiale et la mort tragique de Jacob. Aussi, il n’est pas anodin que certains « mythèmes » jacobiens tournent autour de son statut de victime permanente : face à Picasso, Apollinaire, Reverdy, aux surréalistes, tout d’abord, puis face à l’Histoire. Le deuxième point est celui de la pauvreté. Le dénuement matériel intervient régulièrement dans les descriptions du personnage jacobien. Ainsi, la description de la chambre, notamment à Montmartre, nourrit à maintes reprises un épisode de l’intrigue. Le désordre et une impression de misère pèsent sur les convives.
Physiquement, le personnage est généralement décrit comme âgé, plus vieux que les autres, avec un corps associé aux trois qualificatifs suivants : « rond », « petit », « trapu ». L’âge s’accorde au statut d’autorité, ou de père parfois, qui lui est accordé par les jeunes hommes et ou par la petite Léontine. Certains objets ou vêtements sont également présents, tels le monocle, le chapeau, la redingote(13). La lampe de travail dans la chambre se trouve mentionnée à plusieurs reprises également. Elle participe au tableau de la misère mentionné auparavant. Ces éléments fournissent ainsi des clés importantes du personnage. Toutefois, il convient de souligner combien certaines descriptions empruntent des voies plus détachées du modèle, comme dans les lignes d’Apollinaire :
Moïse Deléchelle est un homme couleur de cendre dont le corps en toutes ses parties est musical. Il se tape sur le ventre pour imiter les sons profonds du violoncelle ; de ses pieds il tire les résonances rauques de la crécelle ; la peau tendue de ses joues est un cymbalon aussi sonore que ceux des tziganes de restaurant et ses dents, sur lesquels il tape au moyen d’un porte-plume, rendent les sons cristallins des orchestres de bouteilles dont jouent certains artistes de music-hall, ou qui font le chic de certaines grandes orgues mécaniques dans les carrousels de foire(14). |
S’il est possible de tirer de la métaphore musicale filée un certain embonpoint (ventre et joue), il reste difficile d’identifier Max Jacob en tant que tel. C’est donc dans ce roman plutôt son nom, l’amitié avec Picasso ainsi que le fait qu’il tire les cartes qui permettent de le reconnaître. En revanche, cette description physique donne une évocation du monde jacobien : homme-orchestre festif se prêtant aussi bien au music-hall qu’à la foire.
Qu’en est-il de l’homosexualité et de la consommation d’éther, qui étaient les révélations publiques les plus problématiques, pour l’auteur comme pour sa famille ? Seuls les romans à tendance plus polémiques les évoquent. Ainsi, Francis Carco traite de l’abondante consommation de stupéfiants de M. Crabe, tandis que Maurice Sachs se concentre sur la sexualité avant tout(15). Cela montre bien que ces deux traits restent globalement peu dicibles chez ceux qui ne tiennent pas à créer la polémique avec Jacob. Il n’est dès lors pas étonnant que Carco et Sachs provoquent les réactions les plus vives. En outre, ce sont ces mêmes auteurs, cette fois accompagnés de Reverdy, qui mentionneront des traits de caractère particulièrement sombres, comme les dédoublements entre l’allégresse et la culpabilité, l’angoisse et l’instabilité du personnage, sa tendance à fusionner et à soupçonner l’autre ensuite.
Ce tour d’horizon des points communs et des différences majeures nous renseigne sur la construction des personnages figurant Max Jacob. Toutefois, nous voyons bien qu’il convient d’élargir le point de vue, dans la mesure où ce personnage est en interdépendance avec un système de valeurs et avec les enjeux d’une intrigue. C’est pourquoi il est nécessaire de s’interroger sur les liens entre ces figurations et la cohérence du genre, avec les pactes de lecture et l’interaction dans la réception. En effet, plutôt que de s’en tenir uniquement aux romans à clés comme des œuvres devant être confrontées à la biographie et aux faits empiriques, il peut se révéler utile de voir le fonctionnement intrinsèque de ce genre.
LE PERSONNAGE DANS LA LOGIQUE D’UN GENRE LITTÉRAIRE
La quête d’initiation dans les romans à clés de notre corpus n’a pas uniquement une portée narrative, mais également une finalité critique, parfois didactique. Il s’agit fréquemment, comme nous l’avons déjà spécifié, de l’affirmation d’un jeune écrivain face à ses aînés qui détiennent le pouvoir symbolique. Aussi entrons-nous dans l’évocation de plusieurs déceptions et de quelques réjouissances dans le monde des lettres, qui amènent à tirer des leçons sur ce milieu artistique idéalisé. Alors que la fréquentation des plus grands artistes devrait produire une élévation, ces récits se centrent sur des conflits, des tensions et un sentiment important de solitude qui caractérise en fin de compte la vie littéraire. « Un tout petit monde » dira-t-on à la suite de David Lodge, qui n’est pas loin de ce registre(16). Nous trouvons ainsi dans ces romans à clés une trame qui conduit à des évaluations progressives. Le personnage figurant Max Jacob n’est pas uniquement un actant de la trame, mais il est aussi un référent qui sert ladite évaluation dans un système de valeurs(17). Sa présentation dans les romans à clés n’a jamais une simple fonction biographique de témoignage, mais elle conduit le lecteur à des jugements sur la vie esthétique et morale, comme le rappelle Aragon :
Ce qui faisait [aux yeux d’Anicet] l’autorité de Chipre, c’était que son esthétique s’adaptait si merveilleusement à sa vie qu’il passait sans s’en apercevoir des considérations sur l’existence aux considérations sur l’art. Véritablement on pouvait assurer qu’il avait son esthétique pour morale(18). |
Que le personnage lié à Max Jacob renvoie à un ensemble de valeurs positives (ascétisme, conviction, fantaisie, puissance) ou négatives (manque de consistance, hypocrisie, prosélytisme, culpabilité, concupiscence homosexuelle) ne signifie pas qu’il est pris en tant que tel, mais toujours en lien avec d’autres personnages et d’autres valeurs. Avant même d’entrer dans les enjeux biographiques de la construction du personnage, il est nécessaire de le considérer dans une trame générale, en lien avec d’autres personnages et d’autres valeurs. Ce dernier s’organise notamment par la figuration de soi, avec des doubles de l’auteur dans certains personnages principaux(19). La distance entre le voleur de Talan et Reverdy, entre le narrateur d’Alias et Sachs, entre Jean X, le personnage appelé « Philippe Soupault » et Philippe Soupault lui-même n’est pas forcément des plus importantes. En somme, la plupart des personnages principaux sont des figurations de l’auteur dans le milieu des lettres. Ces simples faits devraient d’emblée éloigner le lecteur d’une saisie des figurations de Jacob comme d’archives biographiques.
Le récit dans le roman à clés ne se fonde pas sur un contrat explicite ou générique autour de faits vérifiables, comme la biographie(20), mais dans un flottement entre fictionnel et factuel. Dans ce composite apparaissent des positions variables. Ainsi, le roman de Carco engage une dominante fictionnelle, avec le démon Balthazar, le suicide de M. Crabe, alors que le roman d’Aragon implique une plus grande teneur factuelle, notamment dans les liens entre les dialogues et la théorie esthétique de Max Jacob(21). Or, plutôt que de classer chaque roman dans un pôle exclusif, il convient de toujours les saisir dans cet entre-deux. Si la lecture se limite à une approche biographique cryptée, la déception interviendra certainement lors de l’acte de lecture, car ces textes n’obéissent pas aux règles de ce genre. Il s’agit par conséquent de toujours comprendre la description des personnages par rapport à la configuration de l’intrigue et par rapport aux diverses évaluations qu’engage le récit.
Un autre enjeu par la structuration des personnages est celui du registre, notamment avec celui du tragique et du comique. Les œuvres qui adoptent le registre comique, en allant vers le grotesque ou l’ironie, comme celles de Carco, Soupault et Sachs, engagent une critique sévère du milieu littéraire et de Max Jacob. Il n’est d’ailleurs pas anodin que ce dernier ait rompu les liens avec des auteurs après la parution de leur roman à clés. Par ailleurs, d’un point de vue de discursivité générale, il est marquant de voir que les textes de Reverdy, de Salmon et d’Apollinaire se composent de nombreuses séquences lyriques, qui se croisent avec les perspectives narratives et critiques. Cela détourne le lecteur d’une fabulation qui mènerait à une identification stable et directe des valeurs sous-jacentes. Le pacte lyrique ajoute en effet un degré de lecture à ces romans et détourne le genre de ses seules fonctions habituelles.
Dans ce contexte générique, le cas des personnages liés à Max Jacob est particulièrement intéressant, car cet auteur a lui-même créé une porosité entre son œuvre narrative et sa propre vie. Que ce soit à travers les figures de saint Matorel, Tartufe, ou par la thématisation de la pauvreté, du dédoublement de soi, de la culpabilité, du passage entre comique et tragique, de la recherche d’un « art chrétien » dans un souci de purification esthético-religieuse, l’auteur du L’Homme de chair et de l’homme reflet est lui-même dans une perspective romanesque, au sens d’un êthos(22). La vie dans l’œuvre et la vie comme œuvre impliquent une posture particulière dans la manière de ressaisir sa propre existence par le récit(23). Ainsi, l’évocation de la vie montmartroise, les témoignages sur les apparitions christiques, les différentes descriptions de la vie bretonne avaient déjà rendu publics, à travers diverses formes de récits, des éléments qui seront ensuite contestés ou confirmés dans les romans à clés des amis littéraires.
Il nous paraît important de souligner que Max Jacob participe lui-même, dans ses ouvrages comme dans sa correspondance, à certaines préfigurations de ce que nous pourrions nommer son propre « mythe(24) », qui sera alimenté tout d’abord par les romans à clés de l’époque, ensuite par les nombreux témoignages des amis, se retrouvant enfin dans certains travaux biographiques, plus hagiographiques que rigoureux(25). Ce « mythe » se fonde sur son existence, mais il tend à héroïser Max Jacob, souvent comme victime tragique, c’est-à-dire fréquemment comme martyr incompris, jamais très loin de la sainteté. Or, ce type de « mythe » peut aussi provoquer des formes inverses, qui ne sont guère éloignées de la caricature. L’abondante production de récits sur ses années en Bretagne, à Montmartre-Montparnasse, à Saint-Benoît-sur-Loire, à l’hôtel Nollet et même son départ pour Drancy est ainsi susceptible de réactiver, sans même que le critique ou l’écrivain en soient forcément conscients, certaines composantes biographiques dans des perspectives romanesques, avec des évaluations sous-jacentes, qui ne sont pas sans liens avec les éléments rencontrés dans les romans à clés du vivant de l’auteur. Cela ne signifie pas que la réactivation du « mythe » Max Jacob soit inintéressante pour le lecteur, ou le spectateur si l’on pense au récent scénario de Dan Franck(26), mais elle n’obéit pas aux règles scientifiques de la biographie.
Le dernier point sur lequel le roman à clés nous incite à nous pencher d’un point de vue générique est ses liens à la réception, selon une perspective pragmatique. En effet, la détermination d’un genre littéraire n’est pas liée à la seule volonté d’un auteur(27), elle dépend également des éditeurs, des horizons d’attente de certains lectorats (historiquement ou sociologiquement). Par son indétermination entre fictionnel et factuel, le genre littéraire du roman à clés n’est pas toujours aisé à reconnaître d’emblée, à moins d’avoir des mentions explicites dans le paratexte. Aucun de ces ouvrages ne porte la mention « roman à clés », tout au plus le genre du « roman » est-il mentionné en sous-titre. Les textes d’Aragon et Soupault, dans leur édition actuelle, possèdent une préface qui permet de situer le genre, mais ces mentions ne se trouvaient guère dans les éditions originales. En somme, ces romans ne se révèlent à clés que pour ceux qui peuvent identifier combien la trame renvoie à un monde artistique identifiable. Certes, certaines clés autour de Picasso, Apollinaire ou Jacob sont explicites, mais il n’est pas certain qu’un lecteur non informé en saisisse la composition. Cela est d’autant plus vraisemblable lorsqu’un personnage nommé « Max Jacob » se trouve décrit en parallèle au personnage figural plus caricatural, comme chez Maurice Sachs par exemple : « Se pouvait-il, pensais-je, que ce drôle de corps fût le fameux César Blum, le peintre ami de Picasso, de Braque, de Max Jacob et de Derain, l’homme qui avait une si grande influence sur une certaine jeunesse, qui avait connu les jours héroïques de la bohème, de la rue Ravignan et de Montparnasse(28)… » Dans ce flou générique, l’éditeur intervient en outre pour modifier certaines références : ainsi le sous-titre « Souvenirs d’une jeunesse orageuse » du Sabbat de Sachs devient-il dans les années soixante et au début des années soixante-dix « Roman », alors que l’édition de 1979 dans la collection L’imaginaire de Gallimard permet de retrouver le sous-titre premier lié aux souvenirs(29). Cela modifie considérablement l’acte de lecture, notamment dans la véracité accordée aux événements. Pour les romans à clés de notre corpus, les lectures varient entre ceux qui possèdent certaines informations et ceux qui n’en ont guère. Un roman ne s’éclaire pas forcément avec ses clés, mais il se lit différemment, notamment en entrant dans une confrontation plus factuelle face à un univers qui pouvait sembler fictionnel. Cela perturbe l’investissement ludique dans la fiction, car de nombreuses anecdotes connues par les biographies peuvent dès lors se retrouver déployées dans ces univers textuels. Une perspective informée adopte par conséquent une tension entre participation à l’histoire et reconnaissance critique des faits avérés. Cet entre-deux a sans doute provoqué le succès limité de ces romans à leur sortie. Outre le fait qu’ils étaient souvent majoritairement les premiers romans de jeunes auteurs alors non confirmés, ils engageaient une perturbation générique.
Aujourd’hui, deux phénomènes parallèles conduisent à s’intéresser de nouveau à ces romans à clés. D’une part, la vogue des biographies depuis quelques décennies conduit à reprendre ces textes pour mieux comprendre certaines relations entre écrivains. Cela est d’autant plus facile que les ambiguïtés sont souvent levées entre l’univers fictionnel du roman à clés et la recherche scientifique liée à la biographie. Divers travaux sont venus confirmer, étayer ou invalider des positions issues de ces romans. Une telle distinction permet ainsi de mieux plonger dans ces textes, dans l’univers qu’ils proposent en eux-mêmes, notamment dans les initiations au monde des lettres, sans forcément les considérer en tant qu’archives. D’autre part, le phénomène des autofictions et des « biofictions »(30), notamment dans la collection « L’Un et l’autre » chez Gallimard, a pris une telle ampleur qu’il réhabilite indirectement le roman à clés. Bien que ce dernier ne soit pas assimilable aux deux autres genres, il n’en reste pas moins associé à ce type de porosités entre fictionnalité et biographie. Enfin, pour la critique littéraire chargée de certains auteurs, ces textes offrent des informations précieuses pour saisir les « mythes » qui se sont construits autour de leur vie.
Tel est le cas de Max Jacob, qui voit à travers ces romans à clés la constitution de facettes d’un personnage légendaire, qu’il oriente en partie et qui lui échappe déjà, et qui reviendra fréquemment dans les hagiographies, les études biographiques peu documentées ou dans des récits de témoignage qui suivront. Or, plutôt que de condamner immédiatement ce « mythe » comme un « sottisier », à l’instar de certains critiques des années soixante-dix, il convient peut-être d’en saisir les fondements, les fonctions sociales et les limites par rapport à certains faits. Finalement, une œuvre et un auteur n’appartiennent pas uniquement à la critique autorisée et à ses méthodes de sciences humaines, mais ils prennent sens autrement dans les projections, les identifications et même la fantasmagorie des différents lecteurs. Il convient de les situer dans leurs contextes différents. En cela, les romans à clés étudiés ici sont une source inépuisable pour observer combien le même homme peut se retrouver figuré par d’autres écrivains dans des valeurs particulièrement opposées et des positionnements contrastés, alimentant ainsi les reprises romanesques de la démythification de son existence.
* Rédacteur en chef des Cahiers Max Jacob, enseignant-chercheur à l’université de Lausanne.
NOTES
1 PALACIO Jean de, Max Jacob 1 : autour du poème en prose. Revue des lettres modernes, n° 336-339, 1973, p. 157-189. 2
2 Rappelons que l’initiative de ce dossier sur « Max Jacob, personnage de roman » par Patricia Sustrac est liée au projet « L’Auteur comme œuvre » dirigé notamment par Jean-Benoît Puech à l’université d’Orléans : voir LAVIALLE Nathalie et PUECH Jean-Benoît, L’Auteur comme œuvre : l’auteur, ses masques, son personnage, sa légende, Orléans, Presses universitaires d’Orléans, 2000.
3 Nous renvoyons notamment à l’étude de BOYER-WEINMANN Martine, La Relation biographique : enjeux contemporains, Seyssel, Champ Vallon, 2005, et plus particulièrement aux sections suivantes : « Enjeux et contrats biocritiques », p. 101-128 ; « De l’anabiographie aux fictions biographiques », p. 191-207.
4 Presque tous ces auteurs ont regretté la mauvaise réception de leurs romans à clés. Nous reviendrons ensuite sur les raisons possibles d’un manque d’impact lié à ce genre littéraire dans l’Entre-deux-guerres.
5 Voir SCHAEFFER Jean-Marie, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, Paris, Seuil (Poétique), 1989.
6 Max Jacob a adressé un reproche à Reverdy sur ce que ce dernier prétendait être des romans, à partir de la question de la longueur du texte ; voir les entretiens de Reverdy avec Maurice Saillet dans l’appareil critique du Voleur de Talan, Paris, Flammarion, 1967.
7 Nous reprenons de manière synthétique les romans à clés retenus pour le dossier des Cahiers Max Jacob n° 8, en y ajoutant ceux de Reverdy et d’Apollinaire : Pierre Reverdy, Le Voleur de Talan (1917) ; Francis Carco, Scènes de la vie de Montmartre (1919) ; Guillaume Apollinaire, La Femme assise (posth. 1920) ; André Salmon, La Négresse du Sacré-Cœur (1920) ; Louis Aragon, Anicet ou le Panorama (1921) ; Philippe Soupault, Le Bon Apôtre (1923) ; Maurice Sachs, Alias (1935).
8 Le texte de Reverdy engage une charge moins lourde et moins identifiable sur Max Jacob. Malgré les reproches adressés à ce dernier à travers le Mage Abel, Reverdy reconnaît une certaine dette au « voleur de Talan » qui, dans un moment d’égarement, a effectivement fouillé la malle du Mage. Cela peut expliquer en partie le fait que le lien n’ait pas été totalement rompu par Jacob. Sur les relations complexes de Max Jacob et de Pierre Reverdy, je renvoie aux deux études suivantes : VAN ROGGER-ANDREUCCI Christine, « L’amitié entre Pierre Reverdy et Max Jacob », dans Yvan Leclerc et Georges Cesbron (dir.), Le Centenaire de Pierre Reverdy (1889-1960), Angers, Presses universitaires d’Angers, 1990, p. 269-291 ; HUBERT Etienne-Alain, « Reverdy et Max Jacob devant Rimbaud : la querelle du poème en prose », Circonstances de la poésie, Paris, Klincksieck, 2000, p. 255-276.
9 Pour la quantification des pages, nous partons du format de la bibliothèque de la Pléiade.
10 « Cet idéal où se complurent nos aînés, songeait-il, je l’ai examiné trop attentivement pour n’en pas ressentir la niaiserie, et c’est parce que je suis assuré d’y découvrir la même paille, que je lui ai opposé cette autre conception de l’univers sans vouloir la contrôler au préalable… Voici donc tous les liens rompus avec ce que je traînais derrière moi. Désormais mon ombre marchera la première…Enfin je viens de résister à la séduction romantique de la misère, l’un des serpents les plus redoutables pour la jeunesse, facilement fascinée par ces animaux qu’on jurerait purs tant ils se montrent dépouillés. » Telle est l’analyse d’Anicet après la rencontre de Jean Chipre dans Anicet ou le Panorama, Paris, Gallimard (Folio), 2001.
11 Maurice Sachs, Alias, Paris, Gallimard, 2006, p. 156.
12 « Pour qui Blum jouait-il cette comédie, non de la piété car il était véritablement fort pieux, bigot même, mais ajoutée à la piété cette comédie dévotieuse, cette surenchère de gestes symboliques ? », écrit Maurice Sachs dans Alias, p. 163.
13 Chez Aragon, le narrateur évoque trois livres emblématiques dans la chambre de Jean Chipre, qui renvoient à l’univers jacobien : « [Chipre] demeurait dans une chambre si vide qu’il fallait compter le lit pour y trouver trois sièges. Une chaise, une planche fixée au mur en guise de table et surchargée de pots de colle, de papiers et de bouteilles d’encres couleur, une seconde planche en guise de bibliothèque où dormait le Tome XIV de Fantômas, le Tome III des Confessions de Saint-Augustin, et l’Almanach Vermot… », op. cit., p. 100-101.
14 APOLLINAIRE Guillaume, La Femme assise, Paris, Gallimard, 1995, p. 27-28.
15 « Se pouvait-il qu’il eût enfin passé de l’usage de l’éther à celui du Saint Sacrement… », écrit toutefois Maurice Sachs dans Alias, p. 156.
16 LODGE David, Un tout petit monde, Paris, Rivages, 1993 [1984].
17 Sur ce point, voir HAMON Philippe, Texte et idéologie. Valeurs, hierarchie et évaluations dans l’œuvre littéraire, Paris, PUF, 1984.
18 ARAGON Louis, op. cit., p. 105.
19 Là encore, le texte de Salmon pourrait nuancer ce qui semble plus manifeste pour les autres romans.
20 Sur les enjeux de la biographie, d’un point de vue historique et théorique, voir : DOSSE François, Le Pari biographique : écrire une vie, Paris, La Découverte, 2005 ; BOYER-WEINMANN Martine, op. cit.
21 « Un poème n’est pas une devanture de bijoutier » dit le personnage de Jean Chipre, alors que Max Jacob écrit dans la préface de 1916 au Cornet à dés : « Un poème est un objet construit et non la devanture d’un bijoutier. » Plusieurs autres exemples pourraient être pris, notamment par rapport à l’« art chrétien ».
22 Nous renvoyons au colloque dirigé par DECLERCQ Gilles et MURAT Michel (dir.), Le Romanesque, Paris, PSN, 2005, et plus particulièrement à l’étude de Jean-Marie Schaeffer qui développe cette notion en tant qu’êthos, « La catégorie du romanesque », p. 251-302.
23 Nous renvoyons aux travaux de Jean-Benoît Puech, notamment à L’Auteur comme œuvre, op. cit.
24 Nous reprenons ce terme dans la mesure où il a été fortement employé sur les travaux biographiques d’Arthur Rimbaud et qu’il y a quelques parallèles à mener du point de vue méthodologique.
25 De ce point de vue, la biographie d’Hubert Fabureau, Max Jacob, Paris : Éditions de la nouvelle critique, 1935, pourrait servir de croisement entre le genre biographique et la reprise romanesque d’une existence.
26 Nous renvoyons au téléfilm Monsieur Max (2006), réalisé par Gabriel Aghion, scénario de Dan Franck, production Arte.
27 Sur les divers critères génériques, voir ADAM Jean-Michel et HEIDMANN Ute, « Six propositions pour l’étude de la généricité », La Licorne, n° 79, 2006, p. 21-34.
28 Maurice Sachs, Alias, p. 156.
29 L’édition Corrêa de 1946 met « Souvenirs d’une jeunesse orageuse » en sous-titre. Les éditions chez Gallimard en 1965 et dans le Livre de poche en 1971 apposent le genre « Roman » à la place du premier sous-titre. Enfin, l’édition de 1979 dans L’imaginaire chez Gallimard revient au sous-titre initial.
30 Nous pouvons penser aux textes de Pierre Michon, Rimbaud le fils (Gallimard, 1985) ou à celui de Guy Goffette, Verlaine, d’ardoise et de pluie (Gallimard, 1996).
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