|
MAX JACOB ET L’ESPAGNE
Introduction
Marie-Claire DURAND GUIZIOU
Voyageur, Max Jacob l’a été. Outre ses déplacements fréquents dans l’axe des allers-retours de Paris vers sa Bretagne natale, ses nombreuses conférences (sur le thème de la religion mais aussi sur les années de Montmartre) l’ont amené à sillonner le reste de la France et à visiter trois pays étrangers dont l’Espagne. Ses voyages, dans la vie comme dans ses œuvres, sont marqués par la dualité : zones d’ombre et de lumière, à l’instar d’une toile baroque : tantôt exubérant, il s’exprimera avec un débordement et une fantaisie qui contrastent l’instant d’après avec des moments de plus grande réserve, des réflexions critiques sur lui-même et sur les autres, voire des méditations. « En voyage, j’ai l’air d’évêque ou d’Américain […] en réalité je suis indéfinissable… », dira-t-il à Yvon Belaval le 4 mars 1927(1). Au-delà des frontières, il se rendra en Italie en 1925, puis en Espagne l’année suivante et finalement en Suisse en 1935. Bien avant l’année du voyage de 1926 à Madrid, Max Jacob avait déjà fait deux courtes incursions en Catalogne, en 1912 et en 1913. Du village catalan de Céret dans les Pyrénées-Orientales, où Pablo Picasso l’héberge époque de plénitude pour le peintre-poète breton il aura l’occasion de se déplacer à Barcelone (entre autres), où s’affirme le mouvementcubiste à cette période. S’il a été un grand voyageur devant l’Éternel dans ses œuvres, Max Jacob n’a jamais souhaité entreprendre de longs voyages, malgré des invitations. Question de confort et d’argent aussi s’il l’on en croit ses propos épistolaires(2).
Le voyage (principal) de 1926 en Espagne se situe durant la période de retraite, dans son ermitage du monastère de Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret), où il s’estinstallé depuis 1921. À l’époque, les rapports avec l’ami Picasso étaient déjà très tendus ; Max Jacob était devenu Le Poète dans toute sa consécration, après la publication du Cornet à dés et de La Défense de Tartufe(3). Il vient de publier Les Pénitents en maillots roses (1925) et travaille sur un roman « Les Gants blancs » quifinalement restera inachevé. À son retour de Madrid, Max Jacob commente quelques épisodes de son séjour à bon nombre de ses correspondants, dont le jeune Jean Grenier, le 23 mars 1926 :
Tu sais que je reviens d’Espagne, pays de plateaux couverts d’arêtes en cailloux, pays à l’air vif où les clochers sont des pâtes de homards mal blanchis ou mal rosés plutôt (…) L’Espagne est sèche et l’Italie humide… |
Puis, le 5 août 1926, dans une réplique à Grenier :
Je n’ai pas dit que l’Espagne n’ait pas une vie intérieure et une culture. J’ai dit que c’était un plateau rocheux où les gens sont fermés, malins, sensibles et peu sociables. J’ai dit aussi que je ne comprenais pas qu’on rapprochât cet antipathique pays de la débordante Italie, créatrice, pastorale et chantante. Va donc en Espagne : tu y verras le Prado où des chefs-d’œuvre remplacent les insignifiances des musées italiens […] Je te recommande aussi le trésor de la cathédrale de Tolède…(4) |
Son admiration pour les trésors qu’il a contemplés à Tolède, il la dira aussi à Jean Cocteau : « […] mais l’intérieur de la cathédrale de Tolède et surtout le trésor de ladite, c’est quelque chose ».(5)
À Togorès, le jeune peintre catalan connu en 1920, il confirmera ses impressions sur une Espagne qu’il l’a touché sur le plan pictural mais dont il n’est point enthousiaste, si l’on en croit sa lettre du 3 juin 1927 :
Le Musée du Prado (…) m’a semblé le plus beau musée du monde avec des chefs-d’œuvre de chaque peintre (…) le Trésor de la Cathédrale de Tolède ! Mais l’Espagne ne m’a pas plu. Un plateau rocheux et désolé. Des gens à qui j’ai trouvé l’air pédant ou de palefreniers (…) évidemment très hospitaliers…(6) |
Dans sa correspondance avec Grenier, quatre ans après le séjour hispanique (le 17 mars 1930), Max Jacob redira tout son émerveillement au sujet du Prado, « Unique au monde ! » et Tolède, « Tolède, merveilleux et le Greco » ; mais, dans un courrier postérieur du 28 juin, s’il rappelle son admiration pour le musée madrilène « Vive le Prado ! », il révèle aussi sa déception sur la ville du Greco: « Tolède est d’un romantisme déplaisant. » C’est dans cette même lettre du 28 juin 1930 à Grenier qu’on apprend qu’il n’a aimé que la sardane catalane, la tenora et des tableaux de l’Espagne qu’il a visitée bien avant, en 1913. Le reste lui a fait horreur. Certes, le poème « Honneur de la sardane et de la tenora »(7), dédié à Picasso et inspiré par les souvenirs heureux des voyages de 1913 à Figueiras, Gérone et Barcelone(8), est un poème élogieux pour ce pays où il compte de nombreux amis catalans, artistes connus à Paris ou à Céret. Le poème transmet l’ivresse de vivre de ce pays de musique, de danse, de couleurs, de lumière et d’odeurs que Max Jacob avait profondément aimé. Nous y reviendrons.
Toutes ces impressions semblent coïncider avec les notes prises sur le vif et rapportées dans son Carnet de voyage en Espagne ainsi que dans le reste de la correspondance : ni le pays entendons le paysage ni les gens ne lui ont plu, lors du voyage de 1926 à la capitale espagnole et ses alentours (Tolède, L’Escorial). Par contre, la peinture et les trésors de la cathédrale de Tolède l’ont impressionné. Est-il besoin de signaler que, dans ses appréciations sur l’Espagne, le comparant est très souvent l’Italie mais aussi la Bretagne(9) ? Dans sa lettre du 23 mars 1926 à Grenier, Max Jacob prend parti pour l’Italie « humide » et a un jugement sévère pour cette Espagne qu’il trouve sèche : « […] aucune comparaison avec l’Espagne qui est encore plus correcte, réservée et secrète que les bourgeois français » [on connaît l’animadversion de Jacob pour les bourgeois].
Pour Max Jacob, le voyage en Italie était aussi un bon prétexte pour retrouver des amis intimes dont Jean Grenier. En Espagne, il retrouvera son ami Philippe Datz, qui travaillait dans une compagnie d’assurances et avait organisé la conférence à Madrid(10), et d’autres connaissances sans doute, mais point d’amis intimes. Son enthousiasme s’en ressent ; on le perçoit dans le choix des adjectifs qu’il choisit pour décrire l’Espagne : austère, sèche, terre jaunasse, … avec un ciel gris, bleu, gris …»(11). Quel contraste avec la palette qui, dans le poème « Honneur à la sardane et à la tenora », colore le pays catalan ! Le peintre-poète établit des correspondances et des synesthésies, associant les sensations auditives et olfactives dans des scènes qui découvrent un chromatisme chaleureux et une musique odorante : « Le choc du jaune et du rouge s’allie assez / avec, ô tenora, tes gammes alliacées ». La palette, qui privilégie la couleur rose, imprime ses couches de joyeuses tonalités printanières pour évoquer Figueiras et ses danseurs, ses musiciens, ses gens, ses maisons… Mais il s’agissait d’une autre époque, celle d’avant la retraitede Saint-Benoît, alors que Max Jacob habite rue Gabrielle. Époque de Céret avec ses incursions catalanes de l’autre côté de la frontière, moment de grande activité artistique avec des dessins, des gouaches de goût cubiste.
Mais revenons au voyage de 1926 et aux impressions jacobiennes qui ne sont point très élogieuses (exception faite de son admiration pour les « trésors » artistiques), à l’égard du pays qui, en février 1926, l’a invité à faire une conférence à la Residencia de Estudiantes de Madrid, le plus haut lieu des échanges culturels dans la capitale espagnole, durant la période qui va de 1910 à 1936. Max Jacob y fera la connaissance de M. Alberto Jiménez Fraud, directeur de l’Institution, qu’il qualifiera de « personne intéressante » et qui le recevra d’ailleurs chez lui(12). En effet, cet « homme très distingué » accueille avec générosité les intellectuels français qui passent par l’institution appelée Residencia. Max Jacob ne manquera pas d’en faire part à Jean Cocteau, l’encourageant à partir pour Madrid afin de profiter de l’aubaine(13).
Le grand pédagogue qu’était Jiménez fit, en effet, de cette institution un centre ouvert à tous les échanges scientifiques et artistiques de l’Europe de l’entredeux-guerres. Rappelons qu’il s’agit d’une période de grande agitation sociale et politique en Espagne : « Semaine sanglante » de Barcelone, dictature du Général Primo de Rivera sous le règne d’Alfonso XIII qui devra s’exiler et proclamation de la IIe République en 1931(14), laquelle s’empressera d’établir la séparation de l’Église et de l’État, et finalement la Guerre civile en 1936. La Residencia, qui fut un lieu très fréquenté par la bouillonnante Generación del 27(15), se voulait complémentaire à un enseignement universitaire de l’époque : elle se nourrissait idéologiquement des idées rénovatrices de la Libre Institution d’Enseignement (La Institución Libre de Enseñanza), créée en 1876 par Francisco Giner de los Ríos, l’homme qui apporta un souffle de liberté et de renouveau à l’éducation en Espagne. Aujourd’hui, La Residencia de Estudiantes de Madrid est une fondation créée par le Conseil Supérieur de Recherches Scientifiques (CSIC) sous la houlette du Ministère del’Éducation nationale espagnol et autres institutions publiques et privées.
Comme on peut déjà le constater en fouillant dans la correspondance jacobienne, les propos du poète concernant l’Espagne visitée à trois occasions, en 1912, 1913 (en Catalogne) et en 1926, (à Madrid, L’Escorial et Tolède) sont parfois contradictoires ou du moins ambivalents. Les documents épistolaires nous ont néanmoins été précieux pour établir le parcours jacobien en Espagne.
Le Carnet de voyage en Espagne, manuscrit de trente-trois feuillets dont quelques-uns seulement sont consacrées à l’Espagne, apporte également une information fiable dans ses notes jetées pêle-mêle, qui sont autant de brèves descriptions, narrations, dialogues, et où figurent quelques vers et des dessins(16). Max Jacob y dévoile ses sentiments, ses réactions, son agacement parfois, son admiration aussi pour le pays qui l’accueillera comme tant d’autres illustres intellectuels européens de l’époque (dont Claudel et Duhamel avant lui) dans le cénacle le plus célèbre de Madrid.
Max Jacob prononcera sa conférence à Madrid, le 5 février 1926, sur le thème religieux de la symbolique des Écritures même si, dans une lettre adressée à la Residencia de Estudiantes, il annoncera que sa conférence portera le titre de « sans motif »(17). Max Jacob s’apprêtait depuis longtemps déjà à écrire ce qu’il voudrait léguer comme l’œuvre de sa vie, son testament littéraire, sur le thème de la Symbolique dans les Écritures. De 1910 à 1911, il avait entrepris d’écrire « un commentaire des Évangiles » mais confiait, dans une lettre de janvier 1917 à Doucet, que le livre était hérétique. À Queneau, il écrira non sans tristesse, en janvier 1939, « Oui, le seul livre que je voudrais faire c’est le résumé de mes conf.sur les Écritures, mais Gallimard ne me les publierait pas et je suis lié à lui pour la vie ».
Il est étonnant que le Carnet de voyage en Espagne ne mentionne à aucun moment cette conférence ni l’accueil à la Residencia. Pourtant, c’est bien l’invitation de la Sociedad de Cursos y Conferencias de la Residencia, somme toute un honneur pour Max Jacob qui justifiait ce voyage de 1926, à Madrid. Max Jacob en a parlé avant son départ sur un ton d’une certaine légèreté comme si cette étape madrilène à la Residencia n’avait aucune importance. « Je vais faire une conférence. Je ne prépare rien, je dirai tout ce qui me passera. Si c’est bien, je serai content ; si c’est mal, ils croiront que c’est la mode de Paris », commente-t-il à Cocteau(18) quelques jours avant le départ, tandis qu’au Prince Ghika, il ne manque pas d’évoquer les éternelles difficultés pécuniaires, sur le mode humoristique :
Ma main foulée est douloureuse et les préparatifs de mon voyage à Madrid (qui boira autant de gouaches-assignats qu’il y a de différence entre la peseta et le franc) m’obligent à abréger une lettre qu’il m’est doux d’écrire. |
De retour à Saint-Benoît, il écrit au Prince(19), le 21 février 1926, avec la même apparente désinvolture avec laquelle il s’adressait à Cocteau :
[…] J’étais à Madrid où j’ai fait une conf. sur n’importe quoi devant n’importe qui. J’ai un ami à Madrid qui désirait me voir et qui a fait croire à une université qu’il fallait à tout prix m’offrir un voyage, m’offrir un séjour et mille pesetas… |
On sait que ces propos par trop légers cachent aussi un pieux mensonge. Il semble que Max Jacob ait bel et bien préparé sa conférence mais qu’il ait rencontré quelques difficultés à la coucher sur du papier à cause de la foulure qui lui tenaillait la main droite. Une autre hypothèse serait que Max Jacob ne rédigeait pas totalement ses conférences à l’avance, mais se contentait de notes qui lui permettaient de mieux improviser, voire de broder. Selon l’appréciation du chroniqueur de la revue Residencia nº 1 de 1926, il fit une exégèse « du symbolisme oriental et spécialement de la vie de Jésus », laquelle fut appréciée par un auditoire qui ne se réduisait pas à des prêtres et des « cathos » comme l’a insinuer le poète(20). La chronique publiée par la revue de ladite Résidence rend compte de l’effet causé par la conférence du 5 février 1926. Nous la reproduisons intégralement en traduction :
Le contraste a été vif entre la conférence de M. Jacob et ce que venait de nous livrer Duhamel. Le reclus de Saint-Benoît-sur-Loire avait été invité par la Sociedad de Cursos y Conferencias et fit sa conférence à la Residencia de Estudiantes le 5/2/1926. Fidèle à lui-même, à son instinct et à ses critères, il avait annoncé par lettre datée de France que « la conférence n’a pas de sujet et peut s’intituler SANS MOTIF. Cependant j’insisterai sur ma conversion » ; mais, peut-on nier qu’il nous dévoila quel hameçon, si l’on peut s’exprimer ainsi, le prit et l’attira vers elle ? Sa conférence, son improvisation comme il le disait lui-même fut une construction spirituelle, fine, légère, tremblante avec des éclats de lumière. Une exégèse du symbolisme oriental et tout spécialement celle de la vie de Jésus, c’est ainsi qu’il faudrait appeler sa dissertation bien que des mots aussi pompeux et sérieux eussent heurté son tempérament. Ces mots permettent de donner le fil conducteur qu’il a suivi. Ce furent des poèmes du grand poète que toutes les explications données à propos des symboles bibliques. Des poèmes de lumière, quelquefois antagonistes, comme il convient à la manière de cet animateur du mouvement littéraire moderne. |
De son passage officiel à la Residencia de Madrid, il existe une photographie prise devant l’institution où Max Jacob pose avec une certaine fierté. Nous avons jugé intéressant d’inclure ce portrait dans le dossier(21).
Fidèle à son habitude de noter ses impressions de voyages, Max Jacob n’a pas manqué de faire son journal du voyage en Espagne, comme il l’avait fait lors de son périple italien. Una Pfau nous propose un article intitulé « Considérations sur Le Carnet de voyage en Espagne » dans lequel elle établit les correspondances et les contrastes avec le Carnet de voyage en Italie de l’année précédente. Nous remercions Madame Pfau et l’éditeur de sa thèse de doctorat(22) qui nous ont permis de consulter le tapuscrit du Carnet que la chercheuse a eu l’occasion de consulter alors que le manuscrit faisait encore partie du fonds Gwenn-Aël Bolloré(23). Une copie de ce manuscrit de 1926, fournie par Madame Pfau trouvera également sa place dans ce dossier(24).
Enfin, pour compléter les sources qui nous découvrent les détails du Voyage en Espagne, nous mentionnerons le manuscrit intitulé « Vrai sens de la religion catholique » composé de six chapitres et vingt-cinq pages , un sujet que Max Jacob aurait traité dans sa conférence de Madrid. Ce manuscrit n’aurait jamais été publié en France, il a, en revanche, fait l’objet de deux publications en Espagne en 1934, dans les numéros 13 (IV, p. 8-41) et 18 (IX, p. 8-32) de Cruz y Raya(25), revue littéraire parmi les plus originales de l’époque, fondée et dirigée par une des figures de proue des avant-gardes espagnoles, l’écrivain catholique José Bergamín.
C’est également Bergamín qui a traduit les textes jacobiens intitulés « El verdadero sentido de la religión católica » et « Las plagas de Egipto y el dolor »(26). Signalons néanmoins que le manuscrit français ne fait état que de la partie intitulée « Vrai sens de la religion catholique », lequel correspondrait à la traduction de Bergamín : « El verdadero sentido de la religión católica ». Il n’a pas été possiblede retracer le manuscrit intitulé « Les douze plaies d’Égypte et la douleur », si tant est qu’il existe sous forme de manuscrit.
Grâce à l’aimable autorisation de M. Philippe Schmitt-Kummerlee, propriétaire du premier manuscrit, nous avons pu joindre également au dossier quelques pages du précieux document : notre choix s’est porté sur la première page ainsi que la dernière (celle-ci portant la signature de Max Jacob) et sur celles qui présentent des biffures et des modifications effectuées de la main de l’auteur. Ces quelque pages témoignent de deux écritures différentes : fort probablement celle d’un « copiste » sous la dictée de Max Jacob pour la première partie, et celle de l’auteur lui-même pour la seconde.
Dans son article intitulé « Un manuscrit retrouvé : Vrai sens de la religion catholique », Philippe Schmitt-Kummerlee nous livre une nouvelle exégèse dumanuscrit qu’il resitue dans le grand projet jacobien sur les Évangiles livre que Max Jacob ne publiera jamais(27). M. Schmitt-Kummerlee soulève quelques problèmes et nous donne son point de vue en s’appuyant sur les sources bibliques auxquelles Max Jacob a puisé ; son étude établit également les correspondances avec les traductions des textes bergaminiens pour démontrer que c’est bien à partir de ce manuscrit (et probablement d’un second manuscrit qui est à l’heure actuelle introuvable) que Bergamín aurait pu traduire les textes publiés dans Cruz y Raya en 1934.
Enfin, même si le séjour en Espagne apparaît aux yeux de Max Jacob beaucoup plus austère et sage que le voyage en Italie (où il avait retrouvé plusieurs amis français dont Jean Grenier qui enseignait à l’Institut français à Naples, et Nino Frank le traducteur de ses poèmes en italien), le poète connaissaient également en Espagne des écrivains dont Guillermo de Torre et José Bergamín qui étaient aussi des admirateurs de ses œuvres. Le directeur de la revue Cruz y Raya avait par ailleurs favorisé l’invitation à la Residencia(28). Yves Roullière, spécialiste de Bergamín, nous propose un article très fouillé qui dévoile l’influence des écrits jacobiens sur Bergamín, un des meilleurs essayistes espagnols, membre de la Generación del 27 qu’il appelait d’ailleurs La Generación de la República(29).
Comme nous l’avons évoqué plus haut, Max Jacob avait des rapports des plus enthousiastes et fervents à l’égard des Catalans et de la Catalogne, région qu’il avait visitée au printemps de 1913 probablement en compagnie de son ami Pablo Picasso et sa compagne Eva comme en témoigne le poème « Honneur de la Sardane et de la Tenora » dédié à Picasso(30) que nous avons souhaité inclure également dans ceDossier. À Henry Kahnweiler, le marchand de tableaux, il adresse une carte postale de Figueiras, le 7 juin 1913, avec ces trois lignes sibyllines : « Souvenirs et regrets / (Souvenirs de l’Espagne qui t’a vu et regrets / de l’Espagne qui veut te voir encore) »(31). La Catalogne a toujours été très proche de Max Jacob, non seulement par le pays qu’il avait eu l’occasion de connaître mais surtout par ses écrivains et ses artistes. En 1919, son admiration pour le célèbre poète-philosophe et théologien majorquin du XIIIe siècle, Ramon Llull (1232-1316)(32), le poussera à traduire le livre Llibre d’amic e amat, Le Livre de l’Aimé et de l’Ami, avec un collaborateur catalan.
Pour clore ce dossier sur l’Espagne, un dernier article, celui de Pere Gómez viendra retracer les convergences poétiques entre le poète breton et le poète catalan J.V. Foix lui aussi grand admirateur de Llull , en particulier à partir du Cornet à dés et du Laboratoire central.
La perception jacobienne de l’Espagne et l’influence de Picasso
Max Jacob aurait baigné dans un monde artistique où la langue espagnole et les allusions au pays faisaient partie du quotidien des artistes montés à Paris qui se retrouvaient autour de Picasso, au Bateau-Lavoir (et plus tard à Céret) : Manolo, Juan Grís, le sculpteur Appeles Fenosa, et Togorès(33). C’est ainsi que le poète a éprouvé un attachement pour un pays qui, en apparence, avait beaucoup moins d’attraits, à ses yeux, que l’Italie(34). Mais, comme on l’a déjà rappelé au début de cette étude, Max Jacob est parfois insaisissable, « indéfinissable »(35), et ses propos sont souvent déroutants, voire contradictoires. Essayons cependant d’y faire un peu de lumière.
Indépendamment de l’intérêt pécuniaire que pouvait avoir l’invitation officielle de 1926, à Madrid(36), Max Jacob voulait certainement connaître la capitale du pays et le Prado dont il avait tant entendu parler. Dans une lettre non datée à Misia Sert, Max Jacob a révélé les raisons qui l’attachaient tout particulièrement au pays natal de son ami, de ses amis :
J’ai deux raisons d’aimer l’Espagne : la première est que Picasso fut la porte de ma vie et reste la fenêtre (ouverte sur l’infini bien sûr). La seconde est que ce qui vient de ce pays a un air terrestre, familier ou même familial.(37) |
Une porte, en effet qui s’ouvre à Montmartre, au début du XXe siècle, où Max Jacob va rencontrer le tout jeune peintre espagnol. Fernande Olivier rappelle que Max Jacob fut un des premiers amis et admirateurs de Picasso qu’il connut chez Vollard, lors d’une première exposition du peintre de Malaga, alors que celui-ci n’avait que dix-huit ans. Max Jacob reconnut d’emblée chez Picasso un talent exceptionnel. Picasso, pour sa part, aurait aussi pressenti le grand poète chez Max Jacob, ce qui laisse un peu pantois quand on sait que, à l’époque, Picasso bredouillait encore le français, et devait avoir quelques difficultés pour apprécier la poésie de son ami(38) ! Qu’importe, pour le poète, le compliment sera majeur et le marquera profondément : « En 1898, j’ai connu Picasso ; il m’a dit que j’étais un poète : c’est la révélation la plus importante de ma vie après l’existence de Dieu… »(39)
Picasso illustrera, comme l’on sait, de nombreuses œuvres jacobiennes, dont Matorel.
L’époque de Montmartre reste marquée dans les souvenirs des deux amis comme la période la plus heureuse malgré les temps difficiles. Pablo Picasso lui aurait confié : « Tu sais que nous n’avons été heureux qu’à Montmartre »(40). Les années de Céret furent également des moments de plénitude. Le Siège de Jérusalem, qui paraît en 1914, sera illustré par des eaux-fortes de Picasso.
La date du 17 février 1915 est également mémorable dans le tandem Jacob-Picasso : le peintre acceptera d’être le parrain de son ami lors de la célèbre conversion et lui donnera l’un de ses prénoms. Rappelons que Picasso avait sept prénoms, dont Cipriano de la Trinidad (le nom complet étant: Pablo Diego José Santiago Francisco de Paula Juan Nepomuceno María de los Remedios Cipriano de la Santísima Trinidad Ruiz Picasso(41)). Ce prénom de Cyprien plaît à Max Jacob qui signera plusieurs lettres adressées à Picasso d’un Cyprien, sans « de la Trinidad ».Dans son texte inédit intitulé « La Clef des dix plaies d’Égypte »(42), il glose son nouvel appellatif non sans apporter des réflexions fantaisistes qui le mènent d’ailleurs à jouer sur le couple paronymique Cypris / Vénus et Cyprien(43).
Le vécu hispanique de Max Jacob se place aussi sous un signe plus trivial, celui d’une gastronomie qu’il n’a d’ailleurs pas toujours appréciée. Sa saturation pour la cuisine méditerranéenne date de ces années où il partageait souvent ses repas avec les amis espagnols de Picasso, mais aussi les Italiens comme Modigliani ou l’ami Apollinaire né à Rome. Il l’écrira à Jean Rousselot, le 24 février 1943(44):
J’ai horreur de la cuisine italienne ou espagnole, pendant trente années j’ai suivi mes amis Apollinaire et Picasso dans toutes les gargotentas péninsulaires de Paris et j’ai mangé […] il fallait suivre l’amitié au prix de la savatellone et on ne me consultait pas sur mes goûts, moi qui n’aime que les crêpes bretonnes, le bouillon et l’bœuf et les côtelettes de mouton pré-salé…(45) |
On a beaucoup écrit sur la synergie entre Pablo Picasso et Max jacob. Leur amitié, qui s’est nouée au-delà des signes et s’est consolidée, a profondément marqué Max Jacob malgré des brèches et des brouilles qui étaient inévitables dans ces parcours à la fois convergents et divergents du peintre et du poète. Mais il est incontestable qu’ils s’admiraient mutuellement.
Vers les années vingt, les deux amis vont s’éloigner l’un de l’autre. Max Jacob reclus dans son Saint-Benoît toponyme qu’il décline au gré de son humeur du jour : Saint-Benoît-les-gouaches, Saint-Benoît-la boue, Saint-Benoît-les-pioches, Saint-Benoît-les-dimanches. commencera à se plaindre à Kahnweiler, entre autres de l’éloignement de Picasso, devenu millionnaire, dont il ne reçoit plus de nouvelles directes.
Que s’était-il passé entre les deux amis qui avaient tant partagé naguère ? L’aisance du peintre espagnol mettait mal à l’aise un Max Jacob obligé de tirer le diable par la queue. En 1925 (un an avant la conférence de Madrid), la misère est telle qu’il songe à vendre les lettres qu’il possède d’Apollinaire, voire de Picasso. Puis il reviendra sur sa décision.
Il est plus que probable que la « cause espagnole » des années trente, qui débouchera sur la guerre civile, ait également contribué à éloigner les deux amis : le compromis de l’Espagnol s’opposant idéologiquement à l’apparente neutralité du poète dans ce conflit historique dont le drame sera exprimé par Picasso dans sa célèbre toile « Guernica ». Quoi qu’il en soit, lors du voyage à Madrid, Max Jacob et Picasso étaient brouillés depuis déjà un certain temps. Le poète ne signale même pas au peintre qu’il va partir pour l’Espagne. Pourtant, dès son arrivée à Madrid, le 4 février 1926, il ne manquera pas de lui envoyer une carte postale pour lui rappeler qu’il a visité le musée du Prado où le peintre espagnol, estime-t-il, devrait avoir sa place(46) : « Le musée du Prado sera le plus beau du monde quand il aura tes œuvres. Te quero (sic).»(47)
Toute la correspondance qui parle de l’Espagne, de même que le Carnet de voyage confirment, chez le poète, une humeur plutôt maussade lors du séjour madrilène. En consultant le calendrier de ses différents voyages (Italie, Catalogne des années 12-13 et Madrid 1926), on peut établir une corrélation entre le temps atmosphérique et l’humeur du poète. Le séjour de 1926, dans la capitale, s’est effectué en plein hiver, début février, c’est-à-dire durant la période la moins accueillante de l’année. En revanche, les séjours catalans ont eu lieu au printemps. Or son entrain était plutôt printanier à Figueiras(48). Le voyage en Italie s’est déroulé au mois de juin, le mois le plus beau de l’année. On sait que Max Jacob s’est plaint à Cocteau (lettre du 21 février 1926) du mauvais temps qu’il a eu à Madrid, « il y a une boue épouvante et il tombe des ondées », alors qu’à Figueiras tout était couleur et lumière. De toute évidence ce contretemps l’avait contrarié.
Un deuxième élément qui justifierait peut-être son côté renfrogné lorsqu’il parle de l’Espagne : la contrainte de la langue. Il confie à Apollinaire, le 2 mai 1913, lors du séjour catalan, qu’il a assisté à une corrida mais qu’il n’a pas pu participer à la liesse générale faute de comprendre les vitupérations lancées au matador : « Il paraît que la foule hurlante des arènes crie aux combattants des mots très spirituels, mais comme je ne comprenais pas, ils n’ont pas réussi à m’égayer. »(49) Incapable de s’adresser directement aux Espagnols dans leur propre langue, Max Jacob aurait-il eu quelques difficultés à pénétrer le caractère profond des gens du pays ? En serait-il resté sur une impression trop superficielle à cause de ce handicap ? N’avait-il pas commenté à Togorès, à propos des professeurs et intellectuels rencontrés à la Residencia, qu’il les trouvait « hautains »(50) ? Pourtant, à ses amphitryons espagnols, Max Jacob avait affirmé, en février 1926, qu’il n’était pas venu à Madrid pour retrouver uniquement des témoignages du passé, mais des hommes, surtout, des amis, des intelligences et des sympathies qu’il avait beaucoup appréciés. C’est du moins ce que rapporte la revue nº 2 de Residencia(51) :
[…]Je ne suis pas venu à Madrid pour chercher uniquement des témoignages du passé, mais des amis vivants, tant d’amis, tant d’intelligences subtiles et fortes, dont je m’enorgueillis d’avoir mérité la sympathie. L’Espagne était pour moi, il y a longtemps, comme un horizon de désir ; grâce à vous, elle sera, après mon passage, comme un horizon de nostalgie. |
Max Jacob, qui avait laissé entendre que l’Italie l’avait émerveillé(52), semble dévoiler ici son attachement à une Espagne, dont il s’était fait un « horizon de désir » (il avait donc sa propre projection de l’Espagne construite à partir de ce qu’il avait lu et entendu mais aussi vu lors des brefs séjours catalans). Après Madrid, l’Espagne devient pour le poète un « horizon de nostalgie » : il vient en effet d’y découvrir des trésors, un héritage artistique « unique au monde ». Sur ce point, Max Jacob semble avoir été ferme : le patrimoine culturel de l’Église espagnole l’a conquis, au même titre que les peintres préférés qu’il a admirés au Prado. L’art sacré, avec ses retables, ses christs « au cheveu et à la barbe pastiche » fait partie des éléments qui, au-delà de leur valeur artistique, font vibrer la fibre mystique du reclus de Saint-Benoît.
Max Jacob s’est certainement retrouvé, dans ses lieux de recueillement, en communion avec les mystiques espagnols Fray Luis de León, San Juan de la Cruz, Santa Teresa de Jesús et, bien sûr, Llull, dont les lectures lui sont si familières. « La lecture des mystiques est le seul conseil d’esthétique… », avait-il écrit au poète breton, René-Guy Cadou(53). À Togorès, il confiera qu’il y a plus de véritables mystiques en Espagne que dans d’autres pays(54).
L’Espagne, patrie du cubisme
Il reste que Max Jacob a trouvé dans l’Espagne de Picasso un décor qu’il a observé avec des yeux de peintres plus que de poète. On pourrait parler de sa vision cubiste, du paysage espagnol. Le descriptif qu’il donne à Jean-Richard Bloch dans une lettre du printemps 1913 (après sa visite de Figueiras, Gérone et sans doute d’autres endroits) est comme une esquisse qui dévoile une géométrisation du décor sur lequel il pose son regard de peintre-poète :
Tout est à angle droit dans cette patrie du cubisme les maisons de hauteurs inégales et sans toits, les devantures des boutiques qui sont plus hautes que larges, pavées de mosaïques et propres, les nez des gens, les épaules des hommes & la poitrine des femmes ainsi que leurs foulards, les aloès des routes, les palmiers des avenues, les oliviers tordus des champs & les mentons des vieux & des vieilles.(55) |
La lettre qu’il écrira à Apollinaire de Céret le 2 mai 1913, décrit avec les mêmes mots ce pays « cubique » qui s’offre à ses yeux : « L’Espagne est un pays carré et en angles (…) ».(56)
C’est donc une Espagne aux contours anguleux, aux formes carré, cylindriques (les arcades) ou du moins perçues comme telles par l’imaginaire du peintre-poète qui a frappé Max Jacob ; dès 1913, à Céret, alors qu’il continuait lui-même dans ses essais cubistes sous l’œil amusé et indulgent de l’ami Picasso, il commentait avec une certaine tristesse : « Mes essais cubistes ne sont pas du goût de mon maître », ce qui ne l’empêche pas de persévérer dans cette direction ; une des gouaches de l’époque porte d’ailleurs la légende :« Je m’essayais au cubisme »(57). Un an avant le voyage en Espagne, Max Jacob avait peint la série de toiles intitulée « Châteaux en Espagne » dont il semblait très fier(58). Bien plus tard, il écrira à Lionel Floch, depuis Saint-Benoît : « Je dessine beaucoup : j’ai découvert le cubisme système commode et agrandissant ».(59)
L’Espagne « Patrie du cubisme », avait-il affirmé à Kahnweiler(60). Le 7 janvier 1922, Max Jacob, le filleul, profite d’une lettre de vœux qu’il adresse à Picasso, depuis le « Monastère de Saint-Benoît-sur-Loire, pour apporter une précision concernant le cubisme, tel qu’il dit l’entendre, afin de ne point froisser Picasso :
J’ai cru devoir accepter d’écrire une préface pour l’exposition du jeune Togorès. J’avais écrit dans ces quelques lignes : « Le cubisme qui est espagnol », on a supprimé les deux mots qui est, ce qui change tout. Je crois devoir te prévenir pour que tu ne me croies pas passé à l’ennemi, la seule chose qui m’importe dans cette matière et dans la peinture moderne de mes amis (?)(61). |
On a rapporté que, lors du séjour madrilène, en 1926, Max Jacob peignait dans sa chambre après ses visites à Tolède en s’inspirant des cartes postales qu’il avait achetées en chemin. La revue Residencia nº 2 a reproduit ces quatre dessins représentant des paysages qui évoquent les alentours de la ville du Greco : esquisse d’une vallée encaissée celle du Tage fort probablement courbe d’un pont, sinuosité du fleuve, ondulation des collines, tracé rectiligne de murailles et verticalité des cyprès le long d’un méandre…sur fond de végétation estompée. Les quatre dessins sont accompagnés d’un commentaire dont nous ne reproduisons qu’une partie, celle qui propose au lecteur une manière d’interpréter l’art du peintre-poète : « Il existe deux manières de regarder ces quatre dessins encre et cendre de cigarette : celle du sentiment ou celle de la réflexion. Mais pas les deux à la fois. L’équilibre de Max Jacob ne se conçoit pas dans l’union de l’intellect et du cœur, mais dans celle de la réflexion avec ironie ou de l’ironie avec du sentiment. »(62)
En 1924, Mac Jacob affirmait que sa peinture avait des qualités et qu’il n’était pas peintre mais littérateur(63). La question du cubisme en littérature ne peut être oubliée dans le contexte espagnol qui nous occupe, celui de l’époque où Max Jacob a effectué son voyage à Madrid. Les revues littéraires espagnoles faisaient état de l’ébullition d’un renouveau en littérature d’avant-garde en Espagne : ultraïsme, futurisme, surréalisme….. Par ailleurs, Max Jacob n’ignorait pas le lien entre le cubisme espagnol et le célèbre poète et dramaturge du Siècle d’or (XVIIe siècle) Luís de Góngora encensé par la generación del 27. Il en parle à René Guy Cadou : « Connais-tu Góngora ? C’est admirable. Mallarmé et Rimbaud en un seul homme »(64).
Max Jacob et les événements politiques en Espagne
Max Jacob s’est très peu exprimé (du moins dans sa correspondance) sur les événements politiques de l’Espagne des années trente qui débouchent sur la guerre civile de 36-39. Une guerre fratricide qui a mobilisé plusieurs de ses amis(65). Certains étaient entrés dans les brigades internationales pour défendre les républicainsespagnols, d’autres avaient signé en faveur des franquistes que l’Église soutenaitet qui soutenaient l’Église. Max Jacob aurait également signé, par étourderie, naïveté ou maladresse, le « Manifeste aux intellectuels espagnols » de 1938, qui était un appel en faveur du franquisme ; il se joignait ainsi aux intellectuels catholiques qui, en Espagne, soutenaient Franco. Il semble que la signature de Claudel figurant sur ledit manifeste(66) aurait suffi pour que Max Jacob appose la sienne sans se soucier de vérifier le contenu du texte pour lequel il s’engageait. Il est vrai qu’il était très souvent sollicité et n’hésitait pas à donner une signature pour une cause qu’il croyait être la bonne. Pourtant…
Comme l’a signalé le Dr. Robert Szigeti, Max Jacob ne comprenait rien à la politique, entre autres parce qu’il ne s’y intéressait pas du tout. En Italie, il avait croisé les jeunesses fascistes et le notait sur son Carnet sans que cela donne lieu à des commentaires plus profonds. Il n’en reste pas moins qu’il était très sensible à la souffrance des autres : son bouleversement devant la situation des réfugiés espagnols en Bretagne l’avait amené à accompagner le Dr. Georges Desse qui soignaient les enfants déplacés dans des camps(67).
On ne peut toutefois passer sous silence un incident qui, un an auparavant, avait mis le poète en mauvaise posture. Par un malencontreux hasard, la photo de Max Jacob ainsi qu’un poème intitulé « Douleur »(68) paraissent dans la revue Occident nº 5, du 25 décembre 1937, sur la même page que le portrait du général Franco. L’impact en fut d’autant plus marquant que le poème était inséré entre les deux portraits, celui de Généralissime à gauche et celui du poète breton à droite, et voisinait avec des textes de propagande franquiste.
Ces faits ont-ils contribué à creuser encore davantage le fossé entre Max Jacob et Picasso ? Probable. Tout comme il est probable que Max Jacob trouvait dans le recueillement et la prière une manière différente de vivre ces événements douloureux.
Max Jacob et les auteurs espagnols sa projection en Espagne(69)
Rappelons que Le Cornet à dés a été traduit en 1924, deux ans avant le séjour madrilène de Max Jacob, par Guillermo de Torre, membre, lui aussi, de la célèbre Generación del 27, et grand admirateur de Max Jacob. La traduction est précédée d’un prologue que Guillermo de Torre appelle « una noticia crítica ». Le traducteur, qui est aussi écrivain prolifique et critique littéraire, fait une présentation élogieuse du poète et s’attarde sur son esthétique. Déplorant que Max Jacob soit peu connu en Espagne, il propose donc sa traduction du Cornet à dés(70). Quoi qu’en dise de Torre, Le Cornet était connu en version originale par une grande partie des intellectuels de ladite Generación qui maîtrisait la langue française. Par ailleurs, l’effervescence littéraire de cette époque, favorisée par l’activité de La Residencia et le grand brassage des revues littéraires, dynamisait la diffusion ne serait-ce que partielle des œuvres étrangères(71). La présence de l’avant-garde européenne dans la revue Cervantes a ainsi contribué à diffuser un grand nombre d’œuvres innovantes publiées en France
En ce qui concerne la traduction de l’œuvre jacobienne en espagnol, il faut reconnaître que le nombre d’ouvrages répertoriés ne fait pas légion : le premier (El cubilete de dados, par de Torre) date de 1924. Il sera suivi de « La Gula » (« La Gourmandise ») traduite par Julio Gómez de la Serna, en 1930, dans l’ouvrage collectif Los siete pecados capitales(72). Ce n’est que 46 ans plus tard que sera donnée la version espagnole de Conseils à un jeune poète suivis de Conseils à un étudiant(73). Les Cartes a Tagorès ont été publiées, comme l’on sait, en édition bilingue, en 1998, par Josep Casamartina. En 1999, L’histoire du Roi Kaboul et du Marmiton Gauvain paraît, non pas en espagnol, mais en galicien, dans une traduction de Henrique Harguindey Banet avec des illustrations de Xesús María Araña(74). Miroir d’astrologie, vient d’être traduit (2005) sous le titre de Espejo de astrología(75). D’autres traductions sont actuellement en préparation, dont Le cabinet noir.
Si les périodiques et les suppléments littéraires de journaux régionaux et nationaux ont pu offrir des extraits de l’œuvre du poète du vivant de Max Jacob, on constate une certaine défaillance de la diffusion de son œuvre dans la langue de Cervantès(76). Il reste là un défi important à relever.
Conclusion
La lecture des carnets de voyage de Max Jacob m’a amenée à m’interroger sur le type de voyageur qu’était le poète. Difficile de classer celui qui se définit lui-même comme « indéfinissable ». À partir de quelques réflexions de Tzvetan Todorov qui propose une intéressante galerie de dix portraits d’auteurs voyageurs dans un essai intitulé Nous et les autres(77), nous pouvons émettre une hypothèse que les arguments évoqués au cours de cet article auraient la possibilité d’étayer.
« Désabusé » et « exilé»(78) seraient les qualificatifs qui cerneraient le mieux le portrait d’un Max Jacob à la fois paradoxalement casanier et voyageur. Et s’il était disert dans ses rapports avec les autres une éloquence qui n’en dévoilait pas moins son besoin de briller , sa curiosité innée est vite rassasiée. Souvent déçu lorsque son regard se pose sur une nature qu’il découvre pour la première fois, il ne peut s’empêcher de rapporter ses propos à « l’éloge du chez-soi »(79) et, inexorablement, c’est au giron breton qu’il revient en pensées : « Je me demande si on peut admirer autre chose que ce qui a formé notre cœur et si autre chose que la Bretagne peut me toucher », avait-il écrit dans son Carnet de voyage en Italie(80).
Ce n’est donc pas à travers les voyages que sa quête intérieure s’est consolidée. Comme le rappelle Chateaubriand, « l’homme n’a pas besoin de voyager pour s’agrandir, il porte en lui l’immensité »(81). Max Jacob aurait donné raison à l’auteur du Génie du Christianisme, grand voyageur, lui aussi très attaché à sa Bretagne natale. Et qui sait s’il ne se serait pas remémoré avec une certaine tendresse ces vers d’Auguste Brizeux, peut-être appris au lycée de Quimper qui porte le nom du grand poète breton :
Oh ! ne quittez jamais, c’est moi qui vous le dis, Le devant de la porte où l’on jouait jadis,
Oh ! ne quittez jamais le seuil de votre porte ! Mourez dans la maison où votre mère est morte !(82)
|
Enfin, nous terminerons sur une curiosité qui renvoie au souvenir du séjour madrilène et qui s’est poursuivie après la mort du poète : Max Jacob avait conservé jusqu'à sa détention en 1944 une carte postale vierge représentant la Residencia de Estudiantes. La chose passerait pour de la simple anecdote si l’on ne s’était pas aperçu après la mort du poète que les quelques effets restés dans la chambre de Saint-Benoît figuraient inscrits au dos de la carte postale à titre d’inventaire.
Ainsi, l’image de la Residencia témoignait encore, après la disparition de Max Jacob, d’un séjour hispanique qui ne l’avait pas totalement laissé indifférent(83).
NOTES
1 BELAVAL Yvon, La Rencontre avec Max Jacob, Paris, Éditions Charlot, 1946, p. 16.
2 […] Je ne suis pas allé en Afrique. J’aurais dû pour cela prendre le billet de retour que mon impresario m’avait préparé et prolonger mon séjour en Espagne, où la vie est ruineuse pour nous. J’ai dû rentrer bien vite en France… écrit-il à André Lefèvre le 22 février 1926 pour ajouter en post-scriptum qu’il le remerciait pour sa recommandation concernant un voyage au Maroc mais qu’il craignait trop le mal de mer et de surcroît il avait une « formidable envie de travailler en paix et sans plus de chemin de fer », dans MARCOUX Annie et GOMPEL-NETTER Didier, Les Propos et les Jours. Lettres 1904-1944, Saint-Léger-Vauban, Zodiaque (Visages et documents), 1989, p. 255.
3 Entre-temps, Picasso a déménagé, s’est marié et s’embourgeoise de plus en plus. Max Jacob eut vent du succès de l’exposition de Picasso (juin-juillet de cette année-là) chez Rosenberg mais ne s’y rendit point, trouvant des prétextes (santé, argent) ou plutôt de pieux mensonges pour ne pas y être présent.
4 JACOB Max, Lettres à un ami. Correspondance 1922-1937 avec Jean Grenier, Paris / Cognac, Georges Monti éditeur / Le Temps qu’il fait, 1982, p. 59-60.
5 JACOB Max, COCTEAU Jean, Correspondance 1917-1944, texte établi et présenté par Anne Kimball, Paris, Paris-Méditerranée, 2000, p. 390.
6 JACOB Max, Cartes à Togorès. Lettres à Togorès, introduction d’Hélène Henry, Sabadell, Edició a cura de Josep Casamartina, Fundació La Mirada, 1998, p. 90.
7 JACOB Max, Le Laboratoire Central, Paris, Gallimard, 1999, p. 32-37.
8 En 1912, Max Jacob aurait visité l’exposition des peintres cubistes organisée par la Galerie de Josep Dalmau dans la capitale catalane. Depuis 1910 la culture d’avant-garde connaît un essor considérable en Catalogne. Barcelone devient un référent en matière de modernisme et l’axe Paris/Barcelone/Paris est un passage obligé pour tous ceux qui s’intéressent aux mouvements culturels innovateurs de l’époque.
9 Dans la lettre du 17 mars 1926 à Cocteau , le comparant italien affleure également, Max Jacob mettant souvent en parallèle les deux voyages, celui d’Italie de 1925 et celui d’Espagne de 1926 :« […] comme monde, rien de commun avec l’Italie si naturelle, si tendre », KIMBALL Anne, op. cit., p. 391. Voir supra, la comparaison : « les clochers sont des pâtes de homards mal blanchis ou mal rosés plutôt ».
10 Nous l’apprenons par la lettre du 21 février 1926 à Cocteau : « Quant à moi j’ai dû ce voyage à l’amitié de Philippe Datz. Nous avions envie de nous voir », dans KIMBALL Anne, op. cit., p. 390. Mais il semble que l’écrivain espagnol José Bergamín favorisa lui aussi cette invitation à Madrid.
11 Ibid., p. 390.
12 C’est ce que commente M. Jacob à Togorès dans sa lettre du 3 juin 1927, op. cit., p. 92.
13 La lettre du 21 février 1926 à Cocteau dévoile des propos de prébendier de la part d’un Max Jacob qui incite son ami à ne pas rater si bonne occasion : « [...] va à Madrid… On te paiera le voyage aller et retour, ton séjour (tu n’auras pas à dépenser un centime)… » À propos de la Résidence, il précise : « C’est une espèce d’université, un palais de laboratoires dans un faubourg de lune ou plutôt sur une colline au bout de l’avenue du Bois (…) Cette université est entretenue par l’État pour je ne sais quoi. Ils paraissent avoir beaucoup d’argent et se faire des illusions sur les avantages de conférences faites par des poètes. » (KIMBALL Anne, op. cit., p. 381). Max Jacob ignore sans doute que La Sociedad de Cursos y Conferencias qui facilitait les invitations à la Residencia était constituée par un groupe d’aristocrates, de professeurs et d’hommes de sciences et de l’art. Ortega y Gasset, le célèbre philosophe, en faisait partie.
14 On ne peut oublier que cette IIe République était une république d’intellectuels.
15 Nous y reviendrons.
16 Voir la revue Residencia nº 2 de 1926, où figurent les dessins réalisés à Madrid après la visite de
Tolède.
17 « La conférence n'a pas de sujet et peut s'intituler sans motif. Cependant j’insisterai sur ma
conversion », dans Residencia, 1926, nº 1, p. 71.
18 Kimball Anne, op. cit., p. 381.
19 Lettres à Liane de Pougy de Max Jacob et Salomon Reinach, Paris, Plon, 1980, p. 60.
20 Max Jacob dissimule mal une certaine fierté lorsqu’il commente à Liane de Pougy (le 25/02/1926) à propos de ses voyages : « Celui de l’Espagne a été impérial. La France est honorée en Espagne et les Français de passage sont traités comme des pianistes par répercussion. Peu s’en est fallu que je n’aie le roi à ma conférence ». [Il s’agit du roi Alfonso XIII], dans MARCOUX Annie et GOMPEL-NETTER Didier, op. cit. p. 258.
21 Le cliché nous a aimablement été cédé par le Musée des Beaux-Arts de Quimper qui en détient les droits. Nos plus vifs remerciements à son conservateur et directeur, Monsieur André Cariou.
22 Peter Lang. La thèse a été éditée sous le titre de Zur Antinomie der bürgerlichen Satire: Untersuchungen über Leben & Werk Max Jacobs, Bern: Herbert & Peter Lang, Bern/Frankfurt a/m, 1975. L’autorisation concerne les pages 333-347 du Carnet.
23 Rappelons le lien affectif qui unissait Max Jacob à Raoul et Armand Bolloré, ses camarades au Lycée de Quimper.
24 L’intérêt bibliophilique de ce document est à souligner, d’autant plus que la prestigieuse collection appartenant au fonds Bolloré a été dispersée après une vente publique chez Sotheby’s, en 2002, à Paris. Nous souhaitons remercier Mme Sylvia Lorant-Colle, représentante des ayants-droit pour son aimable autorisation concernant ce manuscrit.
25 La majorité des écrivains espagnols, poètes, essayistes, dramaturges de la célèbre Generación del 27 y ont participé même si la revue fondée et dirigée par José Bergamín en 1933 disparaîtra trois ans plus tard La revue Cruz y Raya porte un titre lourd de sens et des sous-titres non moins provocateurs : « revista del más y del menos » ou « de la afirmación y la negación ». Comme le signale à juste titre J. M. Mendiboure (José Bergamín : L’écriture à l’épreuve de Dieu, Toulouse : PUM, 2001, p. 33), le titre de la revue n’est pas neutre. L’expression « hacer cruz y raya » (« faire une croix sur une chose » doit être interprétée dans un sens dialectique qui fait d’une première négation le point de départ possible d’une nouvelle affirmation). Les articles de Max Jacob figurent dans les numéros 13 (IV, 1934, p.8-41) et 18 (IX, 1934, p. 8-32) respectivement.
26 Articles traduits bien plus tard, en 1981, par Jean Cordoba et publiés dans la revue C.R.M.J., nº 4, 1981-82.
27 Max Jacob avait fait une conférence dans les salons de son ami le couturier et mécène Poiret sur « La Symbolique des Évangiles » en 1912 et probablement en 1911 également. Poiret rectifiera d’ailleurs le titre qui serait plutôt « La Symbolique de Saint Luc », dans ANDREU Pierre, Vie et mort de Max Jacob, Paris : La Table ronde, 1982, p. 75.
28 Rappelons que de Torre avait déjà donné une version espagnole du Cornet à dés, deux ans auparavant, sous le titre El cubilete de dados.
29 Bergamín fut un catholique atypique, fervent républicain et un intellectuel témoin lucide de son époque qui s’intéressa aux mythes littéraires, au Siècle d’or espagnol, mais aussi à la politique, à la tauromachie et … aux mystiques. Un récent ouvrage de Xabier Sánchez Erauskin, José Bergamín Angel y rebelde, Madrid, Foca, 2007, brosse un portrait remarquable de ce Bergamín ange et rebelle, que l’auteur évoque parfois sous les traits de Guernico, le personnage catholique de L’Espoir de Malraux.
30 On trouvera en annexe le poème « Honneur de la Sardane et de la Tenora », publié dans Le Laboratoire central, op. cit., p. 32-37. Le cliché, aimablement cédé par la B.N.F., correspond à l’exemplaire ayant appartenu à Paul Éluard.
31 JACOB Max, Correspondance Max Jacob, 1876-1921, édition établie par François Garnier tome 1, Paris, Éditions de Paris, 1953, p. 95.
32 Traduit en 1919, le livre a été publié en 1987 sous le titre de Le Livre de l’Ami et de l’Aimé du bienheureux Raymond Lulle, mis en français par Max Jacob, aux éditions Fata Morgana. L’ouvrage contient une « notice biographique sur le bienheureux Raymond Lulle par Max Jacob et Antonio de Barrau ».
33 On lira, au sujet de la correspondance du peintre catalan et de Max Jacob, l’excellente édition bilingue Les Cartes à Togorès, avec l’introduction très fouillée d’Hélène Henry, qui a certainement contribué à une répercussion médiatique marquée, comme le témoignent divers articles de la presse espagnole de 1998 (El País, ABC, dans leur édition de Catalogne du 28-08-98, et La Vanguardia du 4-09-1998, Diari de Sabadell du 26-08-98, entre autres).
34 Rappelons qu’à Jean Grenier il avait écrit que l’Espagne, cet «antipathique pays », était un plateau rocheux où les gens étaient fermés, sensibles et peu sociables, dans JACOB Max, op. cit., 1982, p. 60.
35 « En réalité je suis indéfinissable : une bonne personne bavarde, méchante en paroles vengeresses, commère… » confiait-il à Yvon Belaval, en mars 1927, dans BELAVAL Yvon, op. cit., p. 21.
36 On sait que la conférence de Madrid avait aussi pour Max Jacob un attrait indéniable : le gain. Compte tenu de la précarité dans laquelle il vivait à l’époque, ce voyage aux frais de la Residencia, n’était pas pour lui déplaire, on le comprend. Dans sa correspondance, il se plaint au sujet de l’argent d’Espagne qui n’arrive pas à temps pour payer le transport et donc la nécessité de peindre des gouaches et encore des gouaches. Les mêmes lamentations que pour le voyage en Italie. La conférence de Madrid fut bien payée Max Jacob recevra 1000 pesetas mais le Vous pouvez acc?der ? certains articles gratuitement en parcourant le sommaire du num?ro ci dessous, pour acqu?rir la revue cliquez ici ne fut pas anticipé ce qui obligea Max Jacob à solliciter André Level pour payer le transport, car même les gouaches ne couvraient pas les frais. À Marcel Jouhandeau, il écrit en janvier 1926 : « On m’annonce que le 4 février je fais une conférence à Madrid ; il faut pour prendre le train que je fasse autant de gouaches qu’il y a de fois cinq cents francs entre Paris et Madrid et vice versa », dans JACOB Max, Lettres à Marcel Jouhandeau, texte établi avec introduction, commentaires et notes par Anne S. Kimball, Genève, Droz, 1979, p. 247.
37 Catalogue Max Jacob et Picasso, op. cit., p. 107.
38 Max Jacob évoque même une nuit où, resté seul avec Picasso après le départ des amis espagnols, ils se parlèrent durant des heures, non pas en français ni en espagnol (Max Jacob ne parlait pas la langue de Cervantes) , mais … par signes ! dans Cahiers d’Art, 1927, VI, p. 199-202.
39 Lettre du 8 août 1931 à René Edouard Josep, dans MARCOUX Annie et GOMPEL-NETTER Didier, op. cit., p. 347.
40 SALMON André, Souvenirs sans fin, (1920-1940) III, Paris, Gallimard, 1961, p. 173.
41 Les deux patronymes étant Ruiz et Picasso du nom du père et de la mère. Picasso avait choisi de réduire son nom au patronyme de la mère : Picasso.
42 Dans la correspondance Jacob-Paulhan, on peut lire : « J’ai trouvé la clef des plaies d’Égypte que je crois bien personne n’a jamais comprises et que je cherche depuis 20 ans : c’était simple comme l’oeuf de C.C. » (Lettre 114), dans JACOB Max, PAULHAN Jean, Correspondance, 1915-1941, texte établi et présenté par Anne Kimball, Paris, Paris-Méditerranée, 2005, p. 198.
43 « Vénus-Cypris, c’est l’accroissement par le bas, l’accroissement par la chair, tandis que Cyprien, c’est l’accroissement par le haut, l’accroissement de l’esprit, c’est-à-dire, la renonciation et l’ascèse… » Par ailleurs, le nom de Cyprien le lie à Cyprien d’Antioche qui avait pratiqué la magie un modèle pour le Max Jacob d’avant la conversion au catholicisme, dans ANDREU Pierre, op. cit., p. 102.
44 MARCOUX Annie et GOMPEL-NETTER Didier, op. cit., p. 495.
45 Notons bien au passage, toujours le comparant breton qui affleure.
46 Max Jacob visionnaire ? C’est probable, car dix ans plus tard, Picasso sera nommé directeur du Musée du Prado par le gouvernement de la IIe République espagnole. Une fonction qu’il n’occupera pas, les événements ayant obligé le Gouvernement à évacuer les collections du Prado vers Valencia et la Suisse.
47 Une pensée que Max Jacob reformulera le 3 juin 1927, pour inclure le peintre Togorès dans cette liste de génies devant figurer dans la célèbre pinacothèque madrilène : « [...] J’ai apprécié ta supériorité sur ton peuple et celle de Picasso, vous êtes les perles de ce pays… », dans JACOB & TOGORES, op. cit., p. 92.
48 Il le confirme d’ailleurs dans sa lettre nº 16 à Togorès : « En Catalogne, il y a 15 ans, j’avais eu une impression bien différente, des gens très ouverts, très éclairés, intelligents et curieux, de bon goût, etc. », JACOB & TOGORES, ibid., p. 92.
49 Dans cette même lettre, il parle d’une blonde Espagnole qu’il a fait danser et qui « parlait certes mieux le français de Perpignan où on l’élève que moi l’espagnol des amis qui m’ont éduqués », dans JACOB Max, op. cit., 1953, p. 92.
50 JACOB & TOGORÈS, op. cit., p. 92.
51 p. 70-71. Nous donnons le texte en traduction.
52 Pendant son voyage, là comme ailleurs, son coeur restait en Bretagne. Ne s’exclama-t-il pas devant la baie de Naples : « Je trouve la baie de Douarnenez aussi belle ! », dans ANDREU Pierre, op. cit., p. 181.
53 CADOU René-Guy, Esthétique de Max Jacob, Paris, Seghers, 1956, p. 53.
54 JACOB & TOGORES, op. cit., p. 124.
55 JACOB Max, « Lettres à Jean-Richard Bloch I, 1909-1934 », Europe, nº 662-663, p. 146.
56 JACOB Max, op. cit., 1953, p. 92.
57 Catalogue Max Jacob-Picasso, op. cit., ref. cat. 128, p. 100.
58 Lettre du 6 juin 1924, à René Mendès-France, dans MARCOUX et GOMPEL-NETTER, op. cit., p. 221.
59 Lettre du 10 nov. 1937 à Lionel Floch, dans Max Jacob, Lettre à Lionel Floch. Introduction et annotations par André Cariou, Rennes, Éditions Apogée, 2006, p. 78.
60 Max Jacob aurait aussi confié à Kahnweiler le 3 juin 1925, alors qu’il se trouvait en Italie, que le cubisme avait un précurseur de Picasso, en Italie : « Le roi des peintres est Tintoret […] Je marche aussi pour Raphaël, vrai patron du cubisme (personne que toi ne peut comprendre ça) », cité dans Le Catalogue Max Jacob-Picasso, op. cit., p. 200.
61 Pieux mensonge à Picasso. On sait, en effet, que la modification avait été autorisée par Max Jacob
à la demande de Kahnweiler qui craignait les foudres de Braque et Léger si l’affirmation « le
cubisme qui est espagnol » avait été maintenue telle quelle. Cité dans le catalogue Max Jacob-
Picasso, Ibid., p. 190.
62 Residencia nº 2, 1926, « Cuatro dibujos de Max Jacob », p. 171-172. Le texte est donné en
traduction.
63 Dans une lettre inédite à l’abbé Duperray, le 4 décembre 1924, lettre qui a été aimablement
communiquée par Maria Green et citée dans le catalogue Max Jacob-Picasso, op. cit., p. 197.
64 Il ajoutera, se référant à Federico García Lorca : « Je prends X pour un blagueur, ainsi que tous
les surréalistes : ils s’amusent, c’est bien. Ils amusent les autres, c’est mieux, mais la poésie, c’est
Lorca ou Kafka », dans CADOU René-Guy, op. cit., p. 76 et 48 respectivement.
65 De Picasso, dont l’engagement ne s’exprima pas seulement par le célèbre Guernica, on connaît
son soutien économique (plusieurs donations importantes), ses déclarations et sa signature, en 1939,
pour sauver les intellectuels espagnols prisonniers dans le camp français de Saint-Cyprien, appelé
« camp de concentration de la plage ». Étrange coïncidence que ce toponyme de Saint-Cyprien qui
rappelle l’un des sept prénoms de Picasso, ce même prénom qu’il avait donné en baptême, en 1915,
à Max Jacob.
66 Ce document rédigé par le Comité intellectuel de l’amitié France-Espagne que présidait Paul
Claudel parut dans le nº 25 de la revue Occident, de février 1938.
67 Le docteur Desse rapporte un fait que nous souhaitons rappeler : « Un soir, une petite réfugiée espagnole à demi mourante refusait une tasse de chocolat. Par des grimaces et des pirouettes Max créa une course de taureaux, une procession, une foule de personnes hiératiques ou comiques, et l’enfant sourit pour la première fois depuis son exil. Max lui tendit alors la tasse de chocolat et comme elle la refusait encore il l’avala goulûment alors que la fillette riait aux éclats », dans Europe, avril-mai 1958, p. 6.
68 Un poème poignant, dans lequel M. Jacob dit son tourment devant la souffrance des autres, des
pauvres, des exilés, qui sera republié dans L’Homme de cristal, Paris, Gallimard, 1967, p. 66-67.
69 Pour plus de détails sur ce sujet, nous renvoyons le lecteur à l’analyse éclairante de Christian Manso « Max Jacob outre-Pyrénées », dans VAN ROGGER-ANDREUCCI Christine (dir.), Max Jacob poète et romancier, Paris, P.U.P., 1995, p. 273-279.
70 Dans notre article « À propos de quelques dérapages dans la version espagnole du Cornet à dés de Max Jacob », BABEL, 51, nº 3, 2005, p. 238-261, nous faisons état de quelques lacunes dues à une méconnaissance du contexte jacobien, dans la version espagnole du Cornet par Guillermo de Torre. La récente édition de 2006 (Losada, Madrid) apporte quelques modifications et corrige les erreurs qui figuraient dans l’édition de 1924.
71 Les directeurs des revues littéraires étaient eux-mêmes écrivains et de nombreux poètes de cette période étaient aussi d’habiles dessinateurs qui illustraient leurs oeuvres ou celles de leurs pairs.
72 Dans Los siete pecados capitales, « La Gula », Madrid, Biblioteca nueva (Colección Populares de grandes autores), 1930.
73 Traduction de José Antonio Millán, sous le titre Consejos a un joven poeta seguidos de Consejos a un estudiante, Madrid, Rialp,1976.
74 Historia do rei Kabul I e do pinche Galván, Vigo, Ir Indo Edicións, 1999.
75 Traduction de Joaquín Juncá y Cristobal Serra, Palma de Mallorca, Cort, 2005.
76 La Bibliothèque nationale espagnole possède actuellement onze ouvrages de Max Jacob.
77 TODOROV Tzvetan, « Les Voyageurs modernes », dans Nous et les autres. La Réflexion française sur la diversité humaine, Paris, Seuil (La Couleur des idées), 1989, p. 373-385.
78 Exilé volontaire certes, mais exilé tout de même.
79 Ibid., p. 384.
80 JACOB Max, Carnet Viaggio in Italia, a cursa di Adriano Marchetti, Genova, Rombi, 2004, p. 16.
81 TODOROV, op. cit. p. 384.
82 BRIZEUX Auguste, Œuvres complètes, Tome premier, Paris, Michel Levy, 1860. (« Marie », « Le Pays », p. 13 et 61).
83 En témoigne cette phrase dans une missive adressée à Kahnweiler, le 1-11-1922 (Corr. II, 133) : « Aide-moi à rendre à l’Espagne le bien que m’a fait l’Espagne ; quant au mal Jéhovah, vengeur s’en charge », cité par Bernard Barrère, « Une querelle de paternité Max Jacob et Gómez de la Serna » dans VAN ROGGER-ANDREUCCI Christine (dir.), Max Jacob poète et romancier, Paris, P.U.P., 1995, p. 263.
|
|